• Pochette surprise.

    La soirée était paisible, fiston jouait silencieux devant son ordinateur, je vaquai à quelque ouvrage. Mon téléphone mobile annonça un message de son gong tonitruant, c'était une amie de fiston avec qui je partage souvent. Si le confort matériel ne pose pas de souci chez eux, il y a une grande souffrance, des conflits violents, une communication bancale, une errance générale, un grand désarroi. Elle trouve chez moi l'empathie qui fait cruellement défaut et quelques remontages de bretelles de temps en temps, de l'écoute, une présence auprès de mon garçon; elle se sait accueillie. En général, quand elle me salue, c'est qu'elle a besoin de parler, je posai donc mon ouvrage pour être disponible.

    Ce n'était pas un SMS mais un MMS. Je l'ouvris et y découvris une photo en gros plan d'un nouveau- né emmitouflé de rose. Je crus en une poupée de porcelaine réaliste et répondis légère: « Qu'est- ce que c'est?», rapidement, me vint un «Ma fille». Le choc. Je ne la savais pas enceinte, elle a l'âge de mon fils. Je retournai une ligne de points d'interrogation et elle m'expliqua qu'elle avait fait un déni de grossesse. J'interrogeai fiston, il ne savait rien et tomba des nues, incapable de réagir pendant plusieurs heures.

    Le lendemain, je la rappelai et elle me raconta son histoire.

    Elle n'avait rien remarqué, tout fonctionnait comme avant. Quelques signes nauséeux avaient passés pour une gastro, les saignements sporadiques conservaient leur anarchie habituelle, elle ne prenait pas de ventre. Ce dimanche après- midi, elle se sentit mourir, avec des douleurs abdominales atroces et des heures passées sur les toilettes. Elle était seule, encore, à la maison. Le samu refusa de venir la chercher estimant que sa vie n'était pas en danger, elle éplucha tous les numéros jusqu'à ce qu'une cousine la prit en charge. Couchée à l'arrière de la voiture, elle se tordait de douleur. Aux urgences, il y eut une échographie abdominale et là, le «Vous êtes enceinte» provoqua la sortie du ventre immédiatement. Le temps manqua pour la conduire en maternité, elle accoucha dans la demi- heure, Bébé et Maman se rencontraient pour la première fois. Tout allait bien, la petite avait seulement les pieds tordus du fait d'avoir grandi le long de la colonne vertébrale, en cachette. Je l'appelai «pochette surprise».

    Dans ma tête, c'était la bousculade, j'avais besoin d'y voir clair aussi, je pris le temps de poser quelques questions, d'entendre ce qu'elle me disait et surtout de rester à ce présent et non à mes propres histoires passées. J'appris qu'elle acceptait la petite, lui avait donné des prénoms significatifs à ses yeux, qu'elle s'en occupait avec amour et soin, qu'il n'était pas question de l'abandonner, que la famille, bien que choquée et bousculée, la soutenait. C'était loin d'être anodin.

    Spontanément, je lui avais proposé le matériel qui me restait de la petite enfance de mon garçon gardé inutilement des années parce que je voulais d'autres enfants finalement restés morts- conçus, elle me remercia en déclinant l'offre: elle recevait de tous et la maison était déjà pleine du plus que nécessaire. Je fus soulagée. Je la rencontrai à l'hôpital, y croisai son père et nous discutâmes. Je trouvai la clarté dont j'avais besoin, et en particulier, heureusement, la mise à distance entre leurs vies et la mienne.

    Si cela nécessita un effort interne important, je me réjouis de constater que j'étais lucide sur ma fâcheuse propension à vouloir aider tout le monde, du coût que cela m'induisait et, ô joie, une petite voix me soufflait: «Reste à ta place! Elle a des parents, une famille, ils ont plus d'argent que toi, tu n'as pas à prendre en charge ce qui ne relève pas de ta responsabilité, laisse- les vivre leurs expériences dans leur propre fatras, n'y mêle pas le tien.». Et miracle! Je m'y suis tenue. Je pris soin de mon cheminement, des émotions de mon fils grandement bousculé, de celles de ma mère à qui il avait soufflé mot et y mettait sa propre histoire, j'offre à cette jeune fille ce qu'elle ne trouve pas ailleurs. En outre, la vision, le contact de ce bébé ne m'impliqua pas, mon deuil est complet, je suis passée à d'autres étapes de la vie. Par contre, le traumatisme de l'hôpital se révéla particulièrement. Revenir en ces lieux me coûtait, mon fils lui, en fut incapable, évoquant notamment les odeurs qui le rebutaient au plus haut point. Que ce fut en maternité, à l’autre bout de là où j'étais en 2006 n'y changea rien, nous ne supportons pas d'y revenir. Nous avons nos propres chemins à parcourir.

    Désormais, la jeune maman vit ses expériences, comble avec sa petite le vide affectif qui la mine, espère, se réjouit, se désespère, s'attriste, elle encaisse, elle s'essaie, elle cherche. Quand elle en a besoin, elle me contacte, nous échangeons, je l'écoute sans falloir ou devoir, ni pour elle, ni pour son entourage. Elle se sent mieux après. Je l'accompagne de bon cœur, exprimant également mes sentiments et pensées pour qu'elle entende d'autres voix/ voies que les enjeux conflictuels autour d'elle et surtout la petite. Même si nous ne nous voyons que rarement, elle sait qu'elle peut compter sur nous.

    Il n'empêche que le choc a été intense. Alors que je connais le déni de grossesse, les grossesses précoces, bien cette jeune femme, je mesure l'impact émotionnel que ce fut pour elle d'abord puis pour tous ceux qui l'entourent. Il était nécessaire de mettre de l'ordre et de la clarté, de ne pas mélanger les histoires; je m'y attelais alors que je n'étais pas tout à fait remise des épisodes précédents ... et je n'en étais pas non plus tout à fait remise quand un autre événement se produisit avec des fracas similaires… A suivre ( décidément).

    « Mesurer l'onde du choc.Bascule à 18 ans. »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 3 Décembre 2014 à 09:25

    Merci pour cet article. J'ai envie d'écrire plein de choses mais les mots se bousculent dans tous les sens... Peut-être parce que le déni de grossesse reste pour moi une vraie énigme. Ca bouscule mes sens... Vivement le prochain post! Bises

    2
    Mercredi 3 Décembre 2014 à 15:45

    C'est un mystère pour beaucoup ma chère Floflo.

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    3
    gina
    Vendredi 19 Décembre 2014 à 18:10

    Vraiment incroyable, je ne pensais pas que le déni pouvait s'éterniser jusqu'au jour de l'accouchement. Tu as bien fait de ne pas trop t'impliquer tout en restant à l'écoute.

    4
    Vendredi 19 Décembre 2014 à 21:49

    J'ai entendu l'histoire de femmes accouchant seules chez elles, abandonnant et/ ou jetant le bébé à la poubelle parce qu'elle n'y voyait pas un bébé mais un déchet et certaines vont même jusqu'à oublier et/ ou ignorer qu'elles ont accouché!!

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