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Pensées en souvenir et présentes
Il est étrange de constater ce que la mémoire retient à travers le temps. J’ai des souvenirs très précis de quelques événements quand la succession des heures passées à la maison me parait être un trou noir, noyé d’ennuis, de souffrances et en quête d’ailleurs, confrontée à mon impuissance à faire quoi que ce soit, coincée dans mon propre corps, à la merci de tous, coupée de tout ce qui fait le quotidien. Peut être est-ce bien l’absence, ma propre absence qui me faisait le plus souffrir, moi, qui ai toujours été pleinement dans la vie. Il ne me restait que mes pensées, ma parole, mon ouïe malgré des périodes d’assourdissement et des mains plus ou moins contrôlables surtout en cette fin d’année 2006.
L’agitation du monde me semblait tellement lointaine et dérisoire ; les thèmes tels que la métaphysiques de l’âme sur France culture résonnaient en profondeur et la variété de consommation, si secouée/ante m’insupportait. Seules des musiques profondes avaient leur place. Imaginez que je ne pouvais plus bouger, je ne voyais presque rien et ’il m’était impossible même de trouver les touches sur la télécommande.
Etre là sans l’être, garder tous ses esprits, penser le monde sans y participer, le regard perdu sur l’incompréhensible brouillard qui entoure sans cesse. C’était, au propre comme au figuré être dans la nuit que la lumière allumée par quelqu’un ne change en rien.
Pas très original je pense au regard des expériences d’autres perdant la vue ou victimes d’accident, de maladies terribles.. Le scaphandre et le papillon récemment et ce magnifique film primé à Cannes, Johnny s’en va t’en guerre (de Dalton Trumbol, 1971) vu une seule fois par hasard au Cinéma de minuit il y a plus de 20 ans et qui m’a marquée à jamais.
J’étais souvent seule, coupée du monde, sans vue ni mouvement chacun travaillant, s’occupant à sa vie. Une première mort, sociale creusant ma tombe. Attendre, se recentrer sur soi parce qu’il n’y a rien à faire. Mon pauvre garçon pour qui je ne pouvais rien faire.
Oui, il ne restait plus que moi et l’immensité de l’univers qui m’habite. Mon parcours, mes questions, mes quêtes, mes lectures, mes rencontres me donnaient quelques maigres moyens pour surmonter avec plus ou moins de sérénité les événements. Je savais qu’il me fallait entrevoir l’avenir pour donner du sens, me réapproprier cette histoire, mon histoire. Tant que je ne voyais pas d’issue, qu’elle soit de rétablissement ou de fin définitive, je ne pouvais pas l’écrire de ma propre main, simplement la subir et perdre ainsi mon humanité, en rester à l’état d’animal.
La maladie n’est pas une aventure extraordinaire quand rien ne vous aide à vous approprier votre propre histoire, à lui donner du sens. (Cher Boris).
Tags : pensees, souvenir, presentes
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Commentaires
Jamais je n'ai entendu parler de ta pathologie. En revanche, j'y trouve les mêmes symptômes chez une de mes soeurs, atteinte d'une SEP. Malheusement, depuis la naissance de son fils il y a 6 ans, elle s'est retrouvée en fauteuil roulant, avec perte de mobilité de ses bras et jambes, problèmes de vision de plus en plus handicapants et incontinence. Sa maladie est rapidement dégénérative, et cortisone, interférons et injections de botox dans la vessie n'y changent rien.
Et c'est terrible à vivre, car seul un personnel formé peut s'occuper d'elle et de son fils. J'ai un mal fou à l'inviter en vacances à la maison, parce que je n'y arrive pas.
Pour ma part, j'ai aussi commencé à perdre l'usage de mon côté gauche. Heureusement,(!), ma soeur a pu me prendre RV chez son neurologue en urgence, car la moindre consultation en hôpital ou dans le privé prenait au moins trois mois.
Après un an de recherches infructueuses du côté de la sep, et tous les examens que tu peux imaginer; après que le chef de service m'ait même dit que je devrais consulter, que mon cas ne relevait pas de la neurologie;
On a enfin découvert que je souffrais, à 40 ans, d'une maladie de Parkinson. Forme non tremblante, mais très douloureuse;
Depuis 4ans, je suis sous traitement; physiquement, il y a les fameux "on"-"off" qui sont très durs à gérer, surtout vis-à vis de mon mari et de nos enfants.
Le traitement fonctionne plutôt bien physiquement, mais les agonistes dopaminergiques me posent des problèmes d'addiction, et des pertes de la mémoire immédiate.
Aussi je comprends ce que tu vis. Pour ma part, mon neuro ne jure que par les médicaments et La fameuse opération.
Moi, ce qui m'aide le plus, c'est en gym la méthode Feldenkraïs, un retour en force chez un psychiâtre...et m'occuper de mon jardin.
A chacun sa route, mais je regrette qu'il n'y ait pas plus de dialogues entre les différents intervenants.
Bon courage à toi,
Cécile.
(ai mis mon blog en pose, et ai enlevé certains articles. Mais tu peux me joindre à: c.douceur@gmail.com .
Amitiés.
Pour le reste, je croise les doigts...
Bon courage, Fée des agrumes,
Cécile.Une réflexion essentielle et profonde. Merci pour ces mots.A Mariev:
Ma chère Mariev,
Non, tu ne te trompes pas. Il reste quelque chose en nous, longtemps qui résiste et nous rattache à quelque chose. Néanmoins, il est nécessaire de pouvoir s'appropier les événements, sinon, c'est la chute irrémédiable.Je n'ai pas eu d'angoisse. Avais-je seulement peur? Je ne suis pas sûre; j'avais indubitablement le désespoir, le profond chagrin de quitter le monde, la vie et ceux que j'aime.
Pour le scaphandre et le papillon, j'ai mis du temps à le regarder, à cause de mes yeux et parce que je savais que cela aurait une résonnance en moi... L'autre film est très puissant également, situation d'autant plus absurde que c'est suite aux atrocités de la guerre, des hommes.
Qu'importe, l'important est de vivre, pleinement, de partager et d'avancer pour arriver au bout de la vie en paix avec soi- même... pour soi, pour tous.A C. Douceur:
Je ne manquerai pas de t'écrire, te rendre visite.
Cette pathologie est souvent confondue avec la sep ( voir la page sur la maladie et les articles racontant l'aventure ).
Que de saloperies la neurologie nous réserve! Je ne peux pas m'empêcher de penser que notre environnement a détraqué notre corps conçu pour une vie d'il y a 100 000 ans... grrrr futilité de toutes façons, idée de mon esprit...
Bataillons, toi, ta soeur, moi et tous les autres car la vie est là et c'est une chance très hasardeuse, iinespérée d'en être, malgré tout.
A bientôt
D'une petite fée aux maigres pouvoirs...A Béranger:
Merci Béranger pour cette très belle citation.
Elle m'en rappelle une autre déjà évoquée. Je serais donc une baroudeuse des voies périlleuses et hasardeuses?
bonne journée.
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je ne l'ai ni lu, ni vu; ça ne doit pas être bien difficile de trouver pourquoi, maintenant que j'y pense...
tu évoques le lent engloutissement à l'intérieur de toi, comme être enterrée vivante : quelle angoisse!
et je crois, en effet, je soupçonne fugitivement, que notre cerveau, notre âme peut trouver la force de combattre l'animalité qui s'installe face à cette angoisse, peut retrouver un, puis dix, puis une centaine de fils pour commencer de se tisser une nouvelle enveloppe; de nombreux éclats, petits et grands, compacts ou légers, pour commencer de modeler un bâton...
je me trompe peut-être, je suis peut-être trop dans le symbolique, mais c'est ce que m'évoque la force de ton texte.
et une fois de plus, je repars avec un drôle de sourire au coeur
;)