• Épisode récent d'une réalité en handicap.

    En 2008, le médecin du travail ne voulut pas que je reprisse le travail; j'insistai, il céda à condition que mon poste soit aménagé et que je me mette en arrêt dès que je suis fatiguée ( j'ai dit d'accord avec l'avantage qu'il ne me connaissait pas) . Le rapport de l'ergonome était formidable, avec un tel poste et quelques recommandations type toilettes à portée, accompagnement et accessibilité des lieux, travail à mini- temps, j'avais de quoi soutenir ma passion du métier.

    Rapidement, la réalité a fait son tri:

    1. L'aménagement est minimum avec des contraintes régulières et limitatrices du fait de la bureaucratie. Je ne compte pas par exemple les réunions ratées en raison des dysfonctionnements de la prise en charge concrète du handicap et c'est un fait, sans mes récupérations physiques, je n'aurais pas tenu très longtemps.

    2. Ma situation matérielle et financière est précaire, à revenu restreint du fait de mon mini- temps ce qui est d'autant plus rageant que mes possibilités d'évolution professionnelle sont proches de zéro dans cette branche. Du fait des handicaps et de la maladie, les portes se ferment sous couvert d'une hypocrisie d’État ( J'en parlerai ultérieurement, cela mérite d'être détaillé et démontré).

    De fait, constamment, quand une opportunité se présente, j'y vais. Je remercie surtout la vie de m'avoir dotée heureusement d'une volonté forte car grâce à ce don du ciel, je me joue des limites officielles et les dépasse.

    D'abord, je profite de toute formation intéressante et cohérente à mon parcours. Je file parfois à 150 km galérant ardemment pour résister aux réveils très matinaux, aux transports laborieux et épuisants voiture- train- pieds entre vessie et jambes récalcitrantes, des journées de 12h avec les transports, un corps incapable de rester longtemps assis ou debout. Bien sûr, certaines m'échappent parce que je ne m'en sens ni la force, ni l'envie; une longueur supplémentaire en bus ou à pied, des horaires encore plus matinaux ou une succession de plusieurs journées trop pénibles pour mon corps éprouvé sont physiquement rédhibitoires. Tant pis... ou tant mieux car je fais mes choix dans le respect de ce que je suis maintenant.

    Je saute également sur toute intervention supplémentaire proposée afin de gagner en expérience et d'arranger les finances. Ainsi, ce mois- ci, je suis intervenue dans un lycée à une vingtaine de kilomètres de chez moi pour préparer des inscrits Pôle Emploi à une entrée en formation qualifiante, remise à niveau pré- qualifiante si vous préférez. C'est cet épisode que je viens vous raconter aujourd'hui, en témoignage d'une réalité en handicap.

    J'avais expliqué d'emblée à la coordinatrice mes besoins d'aménagement:

    • Pour le transport, je n'insistai pas grandement devant la complexité de la démarche et décidai derechef de prendre le risque d'y aller par mes propres moyens. Seulement, ma vieille voiture lâcha à la deuxième session et je finis par organiser le transport en taxi en une heure, dans l'urgence grâce à un concours de circonstances heureux et ma finesse d'approche, toujours l'air de rien, bille en tête. Ouf!

    • Je n'évoquai pas la question des escaliers. Ce n'était pas aisé mais je me suis débrouillée pour les monter/ descendre avec mon panier, mon chariot à roulette ou mes bras chargés. C'est un défi que j'ai relevé avec détermination et j'en suis fière.

    • Celui sur la difficulté d'intervenir le matin fut entendue et mise à part une où je suis arrivée avec 40 minutes de retard - forcément- les après- midi m'ont été accordées.

    • J'ai répété le besoin d'un accès à des toilettes, une simple clé eut suffi à régler l'affaire mais rien ne se fit. Alors, je tournai à plusieurs reprises retenant des mains, laborieusement quelque impériosité à la recherche d'une bonne âme pour ouvrir la porte des plus proches. Les latrines des élèves sont plus éloignées et je ne m'y risquais pas craignant les infections. Armées de protections renforcées, j'avais même un pot dans mon sac en cas extrême pour me soulager discrètement dans un coin, à l'abri des regards envisageant de jeter son contenu dans la verdure par la fenêtre ( façon XVIIe siècle) . Cela fonctionna cahin-caha sur les 4 premières séances avec chance. A la cinquième, je finis dans les toilettes des élèves sans fuite, in extremis et constatai leur état pitoyable: pas de lunette sur la cuvette, du rare papier, de l'eau froide, pas de savon, un séchoir à main soufflant froid, pas très propres et mal- odorantes. Celles pour handicapé étaient en état similaire avec seulement une autre cuvette normale dans le local pour les filles, celles pour les garçons étant condamnées pour avoir été dégradées. Merde est de circonstance, permettez- moi.

      Alors que je sentais la fatigue d'un mois de juin surchargé et épique, j’oubliais dans la cohue quelques précautions à l'avant dernière séance. En pleine discussion animée et intéressante, je me retrouvai coincée sur ma chaise parmi les stagiaires avec une vessie criant son besoin de se vider. Je tentai de fermer les écoutilles espérant marcher jusqu'aux toilettes ééloignééées des élèves, elle n'en entendit rien. Sous la table, je remontai ma jupe, je serrai les fesses, je gesticulai de temps en temps et le liquide commença à m'échapper. Je me levai rapidement dans l'idée de préserver au moins ma jupe, les chaussures ayant déjà navigué en telles eaux si souvent que je m'en souciai moins. Catastrophe! Glissement sur les jambes en premier, jet en second, les odeurs... Je ne sais toujours pas comment je me suis débrouillée mais les stagiaires n'ont rien vu. Je sortis mes mouchoirs, m'essuyai, ramassai le plus gros par terre et réussis à partir aux toilettes des élèves, seules accessibles. Change, vidange approfondie, rinçage de la jupe, lavage laborieux à l'eau froide et sans savon, essai infructueux de séchage au sèche- mains à air froid. Je n'étais que dans le feu de l'action parce qu'un stagiaire m’attendait pour des questions précises et là était ma priorité vu que la séance était près de se terminer. Je remontai l'air de rien et les dernières minutes se conclurent normalement. A la remontée en voiture- taxi, je m'inquiétai de ne pas humidifier le siège, de ne pas sentir trop mauvais. A peine rentrée, je jetai mes affaires et filai me laver, me changer, soulagée d'en finir.

    En action et à posteriori, quelques idées vagues me trottèrent en tête notamment sur cette réalité: qui véritablement en plus grande difficulté que moi pourrait venir étudier ou travailler en ces lieux? Il est vrai que les aménagements s'affichent, se généralisent suite à la loi de 2005 mais concrètement, force est de constater que c'est de la foutaise parce qu'en dehors d'eux, obligatoires et visibles, le reste de la société ne suit pas sur le plan matériel ou organisationnel. Régulièrement, j'entends des remarques du type: c'est compliqué, impossible à mettre en œuvre, pas très utile ou justifié, plus rarement les handicapés sont agressifs avec leurs revendications excessives ( pour les raisons pré- citées)... en gros, les handicapés nous emmerdent. Et si finalement ce qu'ils soulèvent concernait tout un chacun? Est-il simplement humainement acceptable que dans un établissement scolaire public en France, les toilettes, nécessité absolue et fondamentale soient dans cet état? Est- il acceptable qu'à travers le monde, près de sa petite maison ou à l'autre bout de la planète, tant d'humains n'aient pas accès à des latrines? Après tout, les personnes confrontés au handicap sont le reflet de la fragilité humaine, est- ce en cela qu'elles dérangent parce que justement, c'est ce que l'illusion de pouvoir, de maîtrise, de contrôle voudrait nous faire oublier?

    Et bien, à tous les bien- pensants à bonne moralité appelant à l'égalité des chances et autres fumisteries du genre, tant que ce type de situation persistrera, sachez que je ne me gênerai pas pour les dénoncer. Personne individuellement n'est tout à fait responsable, chacun contribue cependant à pérenniser des situations écœurantes et inhumaines, les plus grands donneurs de leçon tel que l’État étant loin d'être exemplaires. Je refuse le silence et l'indifférence alors, je fais ma part. Mes actes quotidiens sont politiques non en écho aux chants joyeux de l'individualisme forcené actuels mais bien parce que j'ai le sens du collectif. Ce blog n'est qu'un maigre reflet de cet engagement, quelques péripéties passées racontées ici en témoignent, l'aventure rocambolesque quotidienne actuelle mériterait bien des écritures, je suis malheureusement en action constamment et le temps me manque pour écrire. Au moins aujourd'hui, j'aurai ajouté une petite pierre. Puissent les autres suivre prochainement, j'en ai tant à raconter.

    A bientôt? …

    « Se loger. Habiter. Quatrième.Ô-rages, Eurockéennes 2012. »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :