• Décembre 2006, sixième. Noël et Nouvel An.

    Je crois que j’attendais la mort, libératrice de la souffrance tout en vivant affreusement  l’atroce idée de ne pouvoir dire au revoir à ceux qui étaient loin,  l’insupportable idée de quitter ceux que j’aime.

    Pourtant, la vie résistait instinctivement  avec ces petits objectifs ; encore un jour, encore une nuit, Noël, un jour, une nuit,…, Nouvel  An, un jour, une nuit… tenir tenir jusqu’à janvier, tenir jusqu’au rendez- vous avec Solange, tenir, tenir…

     

    Pour le repas de la veille de Noël, ma mère et ma sœur nous préparèrent un festin dont je profitai pleinement, doublement, le plaisir de manger ne n’ayant jamais quittée. (Pauvre SeN! Il a fait bien des progrès dans sa cuisine par la force des événements mais qu’est- ce que c’était rébarbatif, sans caractère)  Ses parents étaient là, doucement en raison de la convalescence d’El. Fiston, tout seul avait absolument tenu à faire le sapin et il brillait dans le salon entouré de multiples cadeaux. Je n’oublierai jamais la joie de mon garçon portant à bout de bras son labyrinthe en bois. SeN, peu accoutumé aux grandes déclarations m’offrit ce soir- là une très belle bague en or blanc et incrustation de minuscules diamants sortie discrètement de sa poche parce qu’il m’aimait. Il eut son premier avion télécommandé ce dont il rêvait depuis sa plus tendre enfance cherché pour moi par ma mère, en douce. Personne ne fut oublié. La soirée ne s’éternisa pas ni pour El., ni pour moi ; je fus bien vite  contrainte de retrouver ma position couchée, sur le canapé puis au lit mais nous avions eu une veille de Noël digne de ce nom.

    Le lendemain, nous étions invités chez la sœur de SeN. A nouveau, il fallut me transporter dans les escaliers tournants, gymnastique acrobatique. Je sentis la gêne des invités non par ma présence, mais par l’incompréhension face à mon état ; quand je repartis, je reçus des marques touchantes. Je ne me souviens malheureusement que de la peine que représentait ce genre de déplacement en des lieux inadaptés avec une vue déficiente. Quoi de plus terrible que de voir la vie s’ébattre quand j’en suis écartée, depuis ma prison, mon scaphandre ? 

    Une visite entre les deux fêtes fut plus un calvaire qu’autre chose ; j’avais  de la joie à revoir mes amis tout en restant anéantie par mon  état pitoyable, par mon incapacité à faire le lien entre leur vie et la mienne. Rien de pire que de parler de banalités et de supporter les silences gênés, de les voir faire « comme si de rien n’était ». Même si je comprends bien qu’ils étaient démunis de me voir si éloignée de ce qu’ils connaissent de moi.

     

    Nouvel an. Quelle déchirure ! Nous étions seuls, personne n’avait pris la peine de se soucier de nous ou tous avaient jugé plus opportun de ne pas nous déranger. Nous n’avions  qu’une soirée comme les autres, abominablement coutumière. Fiston se prit d’une colère noire quand il réalisa que c’était Nouvel An, que nous étions seuls à la maison, sans musique, sans nourriture spéciale, sans feux d’artifice. SeN ne comprit pas et la querelle se fit plus noire. Obligée de me recoucher, ne supportant ni les cris, ni la scène, j’essayai depuis le lit de persuader SeN de trouver quelques pétards dans la cave pour aller les faire éclater dans le jardin avec le zozo.  Il partit quelques minutes pour je ne sais quelle raison et je me retrouvai seule avec mon garçon, en larmes, hurlant après cette situation détestable. J’essayai de le calmer, il ne voulait rien entendre. En creusant un peu ce que pouvait cacher une telle obstination sur ces simples pétards, il finit par cracher ce qu’il avait sur le cœur. Tout ce qu’il avait supporté depuis des mois avec force et courage se déversa ce soir-là. Il savait parfaitement ce qu’il se passait, il connaissait la maladie, ce qu’elle était et ce qu’elle faisait, je lui avais expliqué depuis le début, montré les irm,  évoqué l’éventualité de ma mort ou de handicaps permanents. Des livres, intermédiaires, m’avaient aidée dans cette lourde tâche (merci mon cher Boris). Cela n’empêche pas l’angoisse et la révolte, il cria son incompréhension. D’abord en évoquant le vide de cette soirée, sans joie, sans fête, avec pour seuls compagnons la solitude, le chagrin, la souffrance. Puis le sentiment d’injustice face à la loterie de la vie : «  Pourquoi toi Maman ? Il y a tellement de gens méchants, égoïstes et racistes, pourquoi pas eux ? Tu es si gentille, généreuse, tu aides et aimes tout le monde, tu écoutes et comprends ceux qui te parlent… Pourquoi Maman ? C’est pas juste ! ». Que lui répondre ? Que lui dire ? Mon cœur se déchirait parce que je ne pouvais pas lui promettre que la situation allait s’arranger. J’avais compris que nous ne maîtrisions rien, que notre corps, la nature fait sa loi malgré toute la volonté du monde, que la justice est une idée de la conscience et non une réalité concrète. Ne croyant ni en dieu, ni en la religion, que pouvais-je lui offrir ? Je pleurai avec lui n’ayant que mes bras et mon amour à lui donner.

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 22 Août 2008 à 09:55
    Béranger
    J'ai les yeux qui piquent... que c'est beau, poignant, si bien écrit.

    Magnifique de douleur, de bonheur, de tendresse et d'amour aussi.
    2
    Vendredi 22 Août 2008 à 14:32
    fée des agrumes
    Merci.
    Je suis touchée... :*)
    Je suis heureuse de réussir à trouver les mots exprimant ce qui se passait. Non que je veuille étaler ou me plaindre, simplement partager ma foi en la vie, en l'homme et l'espoir fou que je trouve en chaque seconde de vie.
    Partager et avancer ensemble, quel beau programme.
    3
    Samedi 23 Août 2008 à 10:56
    Béranger
    Merci pour ta visite chez moi, bonne fin de semaine
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    4
    Lundi 25 Août 2008 à 23:39
    chris spé
    euh... ben merde alors. Désolé, c'est tout ce que je trouve à dire - écrire! J'ai débouché un Morgon... à la vôtre. Chris.
    5
    Mardi 26 Août 2008 à 12:31
    Béranger
    Je te donne la plume des poètes, je te propose de venir la chercher sur mon blog
    6
    Mercredi 27 Août 2008 à 01:15
    mariev
    tu me tords le coeur, sais-tu
    je n'ai que cet espoir fou, dont tu parles si souvent, que fin 2007 se déroula différemment, plus joyeusement, car tu es là aujourd'hui, en août, à nous parler des petits plats que tu concoctes, à tenir ce blog, nous rendre visite malgré l'inconfort certain que nos blogs doivent procurer dans les choix de couleurs, de design... je ne sais pas
    je sais bien que tu n'étales pas; tu cernes dans la lumière la plus juste, ce que toi, humaine a vécu dans ta chair et dans ton âme. Il n'en demeure pas moins que j'ai envie de crier un coup
    aussi
    voilà, j'ai retrouvé ma connection, et ce n'est pas un vain mot

    ;)
    7
    Mercredi 27 Août 2008 à 22:02
    fée des agrumes
    Merci à vous.
    Que l'espoir nous porte!
    Nos kaléidoscopes de vie ont des milliers de formes, ils n'en parlent pas moins de notre humanité.
    8
    Mercredi 27 Août 2008 à 23:22
    Galatée
    C'est peut-être une banalité que de le dire, de l'écrire, mais n'offrir que l'amour, c'est offrir tout. Un enfant qui n'a ni les bras ni l'amour d'une maman, à quoi se raccroche-t-il ?
    Alors, quand tu as de la peine, en tant que maman, redis-toi cela : ce que tu donnes, c'est ce dont il ne peut se passer pour grandir.
    Je te remercie pour ta gentillesse, cela aussi, c'est quelque chose que tu offres, sois-en fière, et, c'est beaucoup plus important que n'importe quel prix...
    Je t'embrasse très fort,
    9
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Samedi 10 Août 2013 à 18:36

    A Galatée:

    Merci Galatée...
    Un article en sommeil viendra parler de ce à quoi mon garçon a tenu le plus et ce qu'il redoutait me voir perdre. C'est très révélateur de ce qui nous caractérise en tant qu'humain et et... blogueurs :p
    Ton blog est un plaisir quotidien pour moi et ça aussi c'est un beau cadeau de ta part...
    Amicalement,
    et bises de fée...

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