• Le dernier album de Dépêche mode est sorti en ce début de semaine (l'est déjà complet sur Deezer, Sounds of the universe) et nous l'écoutons en boucle à la maison depuis son arrivée entre nos murs. Comme les précédents, plus je l'écoute, plus je plonge avec délice dans ces univers particuliers entre onirisme éthéré et violence des sentiments profonds plus ou moins contenus. Oui, évidemment, je sais, ce n'est que de la musique ! Très volatile variété dirait- on.

     

    Et pourtant, quoi de plus merveilleux que cette capacité humaine à ensorceler le monde ?

     

    Martin Gore et Dave Gaham ensorcellent leurs univers internes, entre manipulation, sincérité, démagogie, aspiration au profit, recherche artistique et authenticité ;  chacun de nous y transpose son interne et les désapproprie de leurs initiales idées. Dans cette chanson, je m'ingénie à revendiquer mon caractère atypique, singulier en pied de nez  à tous ces biens pensants faisant toujours ce qu'il faut quand il faut et comme il faut  dont je ne suis pas. 

     

     

    Je ne suis pas ce personnage masqué, bouche collée, prisonnier d'une voiture reculant et détruisant aveuglément ; les plus mal placés ne sont pas toujours ceux que l'on croit parce que nous n'avons pas tous la chance d'ouvrir les yeux et de se libérer.

     

    Parce que là où ils ont peur, je marche la tête haute, là où ils voient le gouffre abyssal de leurs pires angoisses, je chemine furtivement, la peur au ventre, toujours en avant, en pleine conscience, VIVANTE et en accord avec moi- même malgré le désespoir, la tristesse, les peines, les blessures, les pertes... simplement pour tendre la main vers ceux qui sont au-delà du gouffre.

     

    Toujours décalée, dans la galère d'une vie tempétueuse tortueuse et rédhibitoire, je vis, j'existe et je suis.

     

    En marchant de travers quand la bonne moralité veut des routes toutes droites, en ouvrant les bras quand la bonne moralité alimente la peur de l'autre, je rencontre de merveilleux humains éclairant mon interne et illuminant mon univers.

     

    Que de merveilleux malheurs pour un vilain petit canard dans un monde magnifiquement ensorcelé!

     (Merci mon ami Boris)


    I was born with the wrong sign
    In the wrong house
    With the wrong ascendancy
    I took the wrong road
    That led to the wrong tendencies
    I was in the wrong place at the wrong time
    For the wrong reason and the wrong rhyme
    On the wrong day of the wrong week
    I used the wrong method with the wrong technique
    Wrong
    Wrong

    There's something wrong with me chemically
    Something wrong with me inherently
    The wrong mix in the wrong genes
    I reached the wrong ends by the wrong means
    It puts the wrong plan
    In the wrong hands
    With the wrong theory for the wrong man
    The wrong lies, on the wrong vibes
    The wrong questions with the wrong replies
    Wrong
    Wrong

    I was marching to the wrong drum
    With the wrong scum
    Pissing out the wrong energy
    Using all the wrong lines
    And the wrong signs
    With the wrong intensity
    I was on the wrong page of the wrong book
    With the wrong rendition of the wrong hook
    Made the wrong move, every wrong night
    With the wrong tune played till it sounded right yah
    Wrong
    Wrong

    Too long
    Wrong

    I was born with the wrong sign
    In the wrong house
    With the wrong ascendancy
    I took the wrong road
    That led to the wrong tendencies
    I was in the wrong place at the wrong time
    For the wrong reason and the wrong rhyme
    On the wrong day of the wrong week
    I used the wrong method with the wrong technique

     

    Depeche Mode

     

    Quoi qu'on en dise, le cheminement des bien pensants m'est utile tout comme le mien leur est utile.


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  • Les événements s'accélèrent et je ne suis plus le rythme ! Du coup, les textes se bousculent dans ma tête où grouillent des flots de pensées, je vis pleinement mes ressentis physiques, émotionnels autant dire que chaque jour est une explosion  de vie, d'énergie puissante pas facilement canalisable. Et le temps me manque pour écrire.

      Je résiste encore aujourd'hui afin de rester cohérente, il n'en reste pas moins que le fil de ce blog éclate en des milliers de directions qui ne sont que le reflet de ma réappropriation du monde dans une identité retrouvée tant sur le plan physique, que mental, émotionnel et peut être bien spirituel. Je vais donc vous parler de ce film vu samedi dernier, toute seule.  (quand je vous dis que je ne suis pas consensuelle, héhé).

     

     

     


    L'histoire est très simple, une femme élève seule ses quatre garçons, nés de pères différents et attend un cinquième bébé. Leur vie est dure comme elle peut l'être à Sao Paulo  quand on ne nait pas dans les classes privilégiées. Elle fait des ménages et lutte quotidiennement pour rester digne. Ses garçons se cherchent dans un Brésil où la pauvreté est une réalité quotidienne omniprésente conjuguée  à l'indifférence. Chacun chemine sur sa voie, plus ou moins seul, la vie en famille se réduisant à se croiser dans le tout petit appartement, devant la télévision ou dans la cuisine. Ils n'en restent pas moins  des relations solidaires, jalouses, d'entre aide plus ou moins acceptée, de soutien et de rejet, d'affection et d'incompréhension.

     L'ainé met tous ses espoirs dans le football jusqu'à truquer ses papiers et mentir pour entrer dans une école, le second flirte avec des petits délinquants, tente de gagner sa vie en tant que coursier sur un scooter et hésite entre ses responsabilités de jeune père et ses envies de liberté. Le troisième se fige dans la religion au sein d'un groupe évangéliste, contenant laborieusement sa révolte, sa violence, ses désirs, ses frustrations. Le quatrième, noir, passe son temps dans les bus en quête de son père dont il ne sait rien.

    Misère du Brésil, misère universelle et lutte perpétuelle pour survivre avec l'espoir d'exister, de trouver et justifier sa place parmi les hommes. Quête d'identité et balancement entre espoir et désespoir, révolte et abattement, acceptation et colère.

     Les images sont belles, de cette beauté trouvée dans la misère où il n'y a que grisaille, ciel sombre et saleté, béton et poussières. C'est la beauté des êtres oubliés et ignorés : beauté des visages, beauté des larmes, beauté des sourires, beauté des mains, beauté des corps, beauté des sentiments. Quand la misère n'est pas exploitée pour rassurer les nantis sur leur sort confortable, quand elle est révélatrice de la dignité des êtres à vouloir rester humains malgré les barrières incessamment jetées sur leur route.

     Ce film est tout simplement magnifique.


    Nous étions deux spectatrices dans une grande salle, deux seulement quand la médiocrité remplit les salles à coup de publicité. De loin en loin, nous avons discuté, échangé uniquement avant le commencement car à la fin, ce film m'a laissée collée dans mon siège plusieurs minutes, submergée que j'étais par cette merveille, ce final puissant  où l'élan vers la vie de ces personnages résonne profondément en moi.  En avant !

     Il m'aura fallu plus de 20 minutes pour atterrir, sur le chemin du retour.



    J'étais venue découvrir Sao Paulo où vivent deux de mes amies, Ana et Thatianne, je désirais être plus proche d'elles. Je suis repartie emplie d'humanité, renforcée dans mes pensées sur la communauté et l'universalité des hommes, plus présente encore au sein de notre humanité.

    Ah que j'aime le cinéma alternatif et ces chemins de traverse...


    Ici, l'avis enthousiaste d'un professionnel... (euh, je crois)



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  • Après des mois de marasme familial, la liberté retrouvée de conduire me permet d'avoir des projets. Je retrouve cette imprévisibilité qui me caractérise, cette idée, cette envie de voir, de rencontrer, de prendre le large loin des contraintes quotidiennes qui tuent à coup d'habitude et de ronron soporifique. Ainsi, mercredi dernier, j'ai cherché mon garçon au collège avec deux de ses camarades en raison d'un retard énorme du bus (ils ne seraient rentrés qu'à 14h !). Chemin  faisant, je laissai mûrir en moi cette pulsion d'aller au cinéma avec mon fiston.


     Avant la maladie, nous étions habitués aux séances spéciales visionnant des films d'animation japonais, d'Europe de l'est, français tous plus improbables les uns que les autres, sans oublier les quelques films plus connus avec toutefois la même exigence de qualité. Quelque soit le sujet, je me renseigne toujours sur les critiques avant de me décider à y aller, ma petite culture me permettant également d'avoir une acuité de regard assez juste. Et il y a des films pris pour ce qu'ils sont, une simple rigolade pour faire plaisir.


     Mercredi dernier, donc, j'avais envie d'aller voir Monstres contre aliens, des studios Dreamwork et j'invitai la petite troupe. Nous nous retrouvâmes à trois l'après midi direction le cinéma le plus proche (20 km). Mon garçon n'en revenait pas, abasourdi et rayonnant à la fois, trop heureux des possibilités qui nous revenaient sans avoir à rendre des compte ou se justifier auprès de certains esprits chagrin. Dans ces virées sans Schtroumpf à lunettes, nous nous libérons, nous soufflons, nous respirons librement. Toute petite salle, un paquet de pop corn pour les deux jeunes, nous nous retrouvâmes entre des mères de famille ou des grandes sœurs, tatas et autres femmes accompagnant des enfants. Le film commença.


              Au départ, Suzanne, une gentille et naïve jeune femme se prépare au mariage quand une météorite lui tombe dessus. Lors de la cérémonie,  elle se transforme en géante, explosant l'église et terrorisant tous les invités. Elle est embarquée par l'armée dans un centre ultra secret où elle se retrouve en compagnie d'autres monstres : docteur Cafard, un génial savant fou dont une expérience a mal tourné, une sorte de blob sans cervelle né d'essais chimiques agro- alimentaires, une chenille géante et limitée, un triton bipède pratiquant les arts martiaux. Suzanne est effondrée, recluse et désespérée.

    Débarquent alors des extras terrestres décidés à envahir la terre et éradiquer l'espèce humaine. Aucune arme ne les atteint, aussi, en dernier ressort, les monstres sont envoyés à la rescousse.


    Ce film d'animation est jouissif car les lectures y sont multiples. Les rires dans la salle fusaient d'ailleurs selon la perception de chacun. Les enfants riaient des gags et péripéties  premières, certains adultes d'autres et moi, toute seule, je m'éclatais des allusions incessantes à des films dont beaucoup m'ont certainement échappées tant ce film en est plein. Délires incessants autour de Rencontre du troisième type, Docteur Folamour, Men in black, E.T., La guerre des clones de la saga de La guerre des étoiles, Mars attack, Total recall, sont celles qui me sont apparues clairement. Un peu de ces monstres  géants dans la ville façon japonaise  de ci de  là et tant d'autres que mon ignorance ne m'a pas permis de voir.  Ce décalage incessant était vraiment très drôle. En plus, j'ai trouvé que les bons sentiments et les caricatures habituelles sur les Etats- unis sauvant le monde nous ont été épargnés plus que d'habitude. Restent quelques archétypes sur la découverte de soi, la coopération, la tolérance, les délires sécuritaires de l'armée et les jeux du pouvoir, la mégalomanie, je ne les ai pourtant pas trouvés trop envahissants...


    Avec ou sans enfants, il y a de quoi rire dans Monstres contre aliens. De plus, nous avons passé un super moment qui n'a fait que conforter cette idée récurrente et peu comprise de certains rigoristes préjugeant avec leurs principes :

    Je préfère un bon film d'animation tout public plutôt qu'un mauvais film pour adultes



    Ce film restera un excellent souvenir en soi et parce que c'est le premier que nous sommes allés voir sans dépendre de qui que ce soit, spontanément depuis des années : notre première virée cinématographique autonome depuis des années. Tant pis pour les coincés du principe. Nous, nous avons partagé un instant de plaisir sans prix.

     

     



     


     


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  • En août 2006, je perdis la vue en quelques jours (cf. ici). Je n'imaginais pas que cela pût durer longtemps, je me laissais porter par les événements avec un étrange sentiment d'acceptation. Ma confiance en la vie me laissait croire que ce ne pouvait être définitif, que la médecine saurait y faire face, que je n'avais pas d'autre choix que d'attendre et éventuellement de comprendre pourquoi et comment en arriver là.  Pourtant, au fils des mois, l'incapacité de lire m'handicapa grandement et j'effleurais du bout des doigts tous ces livres qui attendaient d'être lus avec une légère mélancolie.

     Lors de mon séjour au service de rééducation en janvier et février 2007, j'eus les visites de Corine et d'Isabelle qui en dehors de l'aspect humain m'offrirent deux livres lus à ma grande joie, touchée d'être comprise sans avoir à me perdre en explication ; il est vrai que je n'avais pas pensé à cette solution. Quelques nouvelles de Maupassant et des textes de  Philippe Delerm furent écoutés avec plaisir  plus tard, de retour à la maison, n'ayant pas de lecteur sur place.

    Il y a deux mois, de passage en bibliobus, je trouvai par hasard le rayon des livres lus et y dégotai celui-ci. Dans un article, Mariev avait évoqué Colette et mue par cette introduction enthousiaste, j'accrochai sur le disque qui atterrit dans mon sachet de quinze kilos.

    Savourant ces heures passées sans bruit hormis le bourdonnement des paroles, les mains libérées de la tenue du livre, je m'occupai de petits travaux ne nécessitant aucune réflexion autre que mécanique et plongeai dans l'intrigue avec curiosité. Je n'avais rien lu de Colette jusqu'à ce jour n'étant pas particulièrement tentée malgré sa réputation de grande auteure. (Etrange ces œuvres connues de réputation jamais lues ) et je la découvrais, sourire en coin, étonnée de cette écriture savoureuse et cocasse. 

    Claudine à l'école, oeuvre de jeunesse pleine de fraîcheur, fut son premier roman si je me souviens bien, écrit sous l'égide de son premier mari qui l'avait emmenée à Paris dans le monde. La place prise par l'un ou l'autre est assez méconnue toutefois, j'ai reconnu les descriptions amoureuses de Colette à l'égard des paysages de sa région natale quand elle évoque ses escapades folles dans la nature à travers bois et forêts, chemins et prés, champs et rivières. Claudine avait refusé d'aller en pension pour rester auprès de cette nature qu'elle affectionne, de son père tout occupé à étudier les limaces, sa Fanchette, petite chatte fugueuse et attentionnée, ses camarades et sa petite école où décidément règne une agitation des plus comiques.

    C'est une école de filles évidemment ; en cette fin du XIXe siècle, la mixité était inconcevable. Les filles se lâchent, minaudent, rient, gloussent, répondent, inventent des histoires, trichent, s'entraident, se chamaillent, se confient et se torturent... pas très différentes des jeunes filles contemporaines. Il fut très intéressant d'entendre les conversations sur leurs tenues, leurs rubans, leurs jupons et corsets qui les étouffent en été, leurs pudeurs feintes ou non, leurs égarements en chemise quand elles se retrouvent entre elle pour passer le certificat d'étude à la ville,  leurs amourettes de campagne en marivaudage, séduction ou sincère engagement naïf, les pincements du médecin en visite à l'école en tant que protecteur, volant de ci de là des baisers à ces grandes filles de quinze ans sous le regard jaloux de leur institutrice qui pourtant fricote avec son assistante dans des mises en scènes mélodramatiques et romanesques dont se gaussent les jeunes filles.  Le désordre règne dans les salles, petite et grande classe souvent à l'abandon pour que l'institutrice et son Aimée assistante puissent vaquer à leurs occupations entre caresses, baisers et empoignades tendres dans quelque chambre, coins et recoins, d'abord en secret puis totalement libres entre les regards curieux et les pouffements de rire des plus grandes pas du tout dupes de ces petits jeux amoureux entre femmes. Relation constante pourtant malgré quelque errements vers des hommes.

    Je remarquai qu'en ce temps, les jeunes filles s'aimaient en bonnes camarades, s'enlaçant, se serrant, se frottant les unes aux autres selon les affinités dans des jeux d'amitié que nous jugerions ambigus actuellement ce qui ne les empêchent nullement de fricoter avec les garçons, à chercher à séduire les hommes ou à se le disputer dans une compétition sourde et jalouse.

    Elles étudient l'histoire, la géographie, les mathématiques, la chimie, la physique, la littérature, les langues et aussi la broderie, la dentelle, la couture, la calligraphie. Les plus douées aspirent à devenir institutrice ce dont Claudine ne veut pas. Intelligente et pertinente, elle aspire à une autre vie que celle d'une petite enseignante de campagne, lucide sur le devenir des filles, fâchée de la condition faite aux femmes. Sa volonté est d'entrer dans le monde et de dépasser les frontières posées par la société de l'époque, soutenue par son père qui n'a d'yeux que pour ses limaces et laisse ainsi une liberté considérable à sa fille, courant les bois, dévorant les livres de sa bibliothèque, les revues. Dans cette liberté et cette confiance, Claudine cultive son interne et ne manque pas de répondant, jouant de son joli minois et de son corps aux formes appréciées des hommes.

    Cette écoute jubilatoire me prit quatre ou cinq heures, entre allers- et- venues des pistes afin de saisir pleinement le sens des mots lus. Je me réjouissais d'entendre la suite des péripéties de ces personnages haut en couleur, si lointains dans le temps et pourtant si proches de nous. Je fus étonnée de tant de pertinence, d'effronterie parfois, une liberté de ton que je n'imaginais pas en ces temps de rigueur morale bercée ( endormie ?) par les discours de ceux qui vantent la paix et la moralité existant autrefois dans une société « bien cadrée ». Ce fut une belle introduction à l'écriture de Colette qui me laisse un souvenir plaisant et un sourire sur les lèvres chaque fois que je repense à ces  aventures drolatiques, ce regard lucide et pertinent sur le monde qui entoure la jeune Claudine. Etait-elle si moderne ? A moins que ce ne soit certains contemporains d'hier et d'aujourd'hui  qui ne soient très « anciens ».


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  • Ce fut Jacynthe qui m'en parla la première au téléphone alors que nous devisions des symptômes physiques révélateurs d'inconscientes perturbations. Nous l'avions croisé ensemble à cette foire du livre évoquée sur la page qui lui est consacrée, elle en garde un souvenir magique et se dit reconnaissante à mon égard de l'avoir guidée vers lui. Il revient donc très souvent dans nos conversations et cette fois-ci, elle évoqua une intervention à la radio la veille à propos de son dernier ouvrage à paraître. Après avoir étudié les traumas et leurs conséquences, la résilience qui est en tout humain, il s'était intéressé aux bourreaux.  Pourquoi et comment les crimes de masse ont- ils pu être commis ? Que ce soit au Rwanda, en Allemagne, ailleurs,  comment des personnes tout à fait normales, souvent cultivées et adorables parents peuvent- elles devenir des assassins de masse si monstrueux, des complices de la barbarie absolue ?  Intriguée, je commandai le livre fraîchement paru dans la foulée.


    J'y retrouvai son style clair et pédagogique qui permet de comprendre des théories psychiatriques et neurologiques complexes, son humanisme vivifiant et empli de bonté, son humour, ses émotions et ses envolées sur l'humain, ses connaissances pointues, ses études, ses recherches à travers le monde. J'avoue pourtant avoir eu quelques difficultés à trouver un fil directeur, livre qui me semble plus zigzag que linéaire puisqu'il y réfléchit tant sur les tortionnaires que sur les victimes, beaucoup sur les enfants, sur les schémas et mythes qui régissent la diversité humaine, les réactions multiples que choisissent ceux qui sont confrontés à des situations aléatoires. Comme il le dit, les discours logiques  et limpides sont rassurants et endorment la pensée alors que la vie est un trouble constant aux variations aléatoires.


    Il évoque régulièrement l'importance du lien à l'autre, qu'il soit individu, famille groupe ou  nation,  comment le contexte familial, culturel structure nos pensées et nos choix de vie et surtout comment il détruit ou soutient ses victimes rescapées.

    Il analyse les comportements divers face aux catastrophes naturelles, les adaptations observées dont les plus éclatantes au premier abord sont couvent les plus toxiques parce qu'elles empêchent la véritable résilience, processus qui a des stades à traverser pour être effective, l'irrationalité des hommes à vouloir expliquer l'inexplicable en trouvant des boucs émissaires avec des raisonnements complètement aberrants.


    Il déshabille la perversité des relations quand l'autre devient rien, n'existe plus. Ainsi, les terroristes islamistes, les nazis commettent les pires atrocités avec l'exaltation amoureuse envers un chef qui illumine leurs vies mornes et insipides. De même, insidieusement, la technologie flatte les narcissismes par les écrans qui absorbent l'autre et ne renvoie que l'image de celui qui le regarde avec une force encore jamais égalée. Cette perversité contextuelle qui n'a rien à voir avec la perversité développementale est implacable et conduit les humains à des extrémités insensées.


    Il décortique également les mécanismes du confort rassurant des pensées et discours pré mâchés, la sécurité psychique donnée par l'alignement sur le comportement de la masse alors que le fait de penser et faire autrement, à contre courant créée une tension forte avec production de certaines hormones du cerveau. Agir différemment est fatigant et stressant, génère un inconfort, donc, la majorité des humains deviennent des moutons et des perroquets de Panurge se rassurant les uns les autres avec des délires raisonnés et logiques. Le discours et l'histoire qui s'écrivent après les événements ne sont jamais dénués de significations et oblitèrent le cheminement de chacun de manières étonnamment diverses. Un récit conduit à se sentir coupable chez l'un, fort et puissant chez l'autre, honteux pour lui,  miraculeux pour elle alors qu'ils ont traversé les mêmes circonstances. Il y a autant d'histoires qu'il y a de ressentis et autant de discours qui vont détruire ou accompagner dans la résilience les survivants ou leurs descendants.


    Enfin, il parle des enfants cachés. Qu'ils aient été juifs, rwandais, enfants nés d'une union avec l' « ennemi », enfants de dignitaires nazis ou de collabo, les parcours sont tortueux, complètement dépendants de ce que l'entourage dit d'eux, de ce qui leur est donné ou non affectivement, avant, pendant, et après le trauma. Les événements détruisent ou non, reconstruisent ou non la représentation de soi, ils la transforment  inévitablement.

    Il  expose les stratégies mises en place à travers le monde par les enfants livrés à eux- même, spontanément et dont la réussite résiliente tient à un encadrement affectif et culturel primordial ; sans amour, sans sens, sans mot, sans culture, ils tombent dans l'errance totale, fantômes d'humains aux multiples tares développementales. Et puis, donnez-leur un lien affectif, une explication, un récit, une structure sécure et ils rattraperont ce qu'ils n'ont pu acquérir.

     Pareillement, il démontre comment les idées sur l'adoption sont complètement liées aux fantasmes de ceux qui les disent. J'aime en particulier quand il démolit les mythes sur la famille soit- disant tellement exemplaire qu'est la famille traditionnelle au couple immuable et ses enfants naturels. L'histoire des humains est marquée depuis la nuit des temps par la mort précoce des parents : ainsi, par exemple, après la guerre de 14, il y a moins d'un siècle,  un enfant sur deux était élevé par d'autres que ses parents biologiques. Selon la culture, le discours ambiant, le vécu des individus, l'adoption a des sens diamétralement opposés ; la société japonaise basée sur la hiérarchie familiale considère les orphelins comme quantité négligeable, le don d'enfants chez tel peuple est un acte d'amour et un cadeau béni des dieux pour la famille accueillant l'enfant... Il expose les cheminements psychiques des adoptants et des adoptés, de ce que l'adoption devient dans les pensées individuelles et sociales parce que finalement, l'adoption est toujours un bienfait malgré tout ce qu'on en dit.


    Ainsi, nous sommes des êtres irrationnels raisonnant le monde dans des délires individuels ou collectifs, occupés à donner du sens à l'inexplicable et de ces fonctionnements, naissent des épouvantails.


     « Un épouvantail, lui, s'applique à ne pas penser, c'est trop douloureux de bâtir un monde intime rempli de représentations atroces. On souffre moins quand on a du bois à la place du cœur et de la paille sous le chapeau. Mais il suffit qu'un épouvantail rencontre un homme vivant qui lui insuffle une âme, pour qu'il soit de nouveau tenté par la douleur de vivre.

    Mais tout est à repenser. Quand le réel est fou, la parole est incertaine. Le monde qui revient en lui ne sera supportable qu'à condition d'être métamorphosé. La poésie, le théâtre ou la philosophie en feront une représentation tolérable. La rage de comprendre se transforme en plaisir d'explorer, la nécessité de fouiller  l'enfer pour y trouver un coin de paradis se mue en aptitude à rencontrer des insuffleurs d'âmes.

    Alors l'épouvantail se remet à parler et parfois même à écrire sa chimère autobiographique. »


    A nouveau, mon ami Boris me conforte dans l'idée que nous sommes tous inter  reliés, que nous sommes tous responsables les uns des autres, que la culture et ses « inutilités improductives » sont nécessaires, vitales à l'humanité autant que de boire et se nourrir ou dormir, que nous avons tous le droit et le devoir de réfléchir, d'être critique, aussi cher que cela puisse nous coûter.

     A nouveau, je compatis pour les travers humains et je nourris ma foi en l'humain VIVANT.

    Merci encore Boris.


    Ps : tout ce ceci n'est que personnel et partial, c'est mon ensorcellement du monde et ma curiosité s'impatiente de lire ce que vous en aurez lu.


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  • Mon fiston, à bientôt douze ans, est un dévoreur de bandes dessinées et autres livres ; curieux, ouvert, il est avide de découvertes. Quand j'ai perdu la vue en août 2006, il prit l'initiative de me faire la lecture me sachant attristée de ne plus avoir accès aux curiosités écrites du monde. Ainsi, il me lisait chaque jour un chapitre ou quelques pages tant que je ne pouvais le faire de moi- même... Bon, d'accord, il me lisait ce qui lui plaisait sans trop se soucier de mon intérêt ; c'était parfois très gonflant ; l'intérêt était ailleurs finalement et ce lien avait tout son sens, malgré ses quelques décisions arbitraires. Je le vécus sous cet angle, simplement.  Cette habitude lui est restée partiellement quand un écrit le touche et qu'il a envie de le partager avec moi, enthousiasme pas toujours partagé, je l'avoue quand il s'agit de certains vrais sujets de garçons...

     Au club Contes auquel il participe au collège, une surveillante conteuse ouvre les voies de l'esprit par le biais de lectures dont je reçois systématiquement les échos chaque semaine. Comme elle ne lit pas l'intégralité de l'œuvre, le fiston file au CDI pour l'emprunter et le dévorer dans les jours qui suivent. J'ai pu profiter du Fantôme de Canterville d'Oscar Wilde avec grand plaisir, c'était drôle et une belle entrée en matière à cet auteur dont je n'avais encore rien lu . Il y a quelques jours, il me parla d'un autre livre très drôle qu'il tenait ABSOLUMENT à partager. Je n'y prêtai pas attention et un soir, alors que j'étais fatiguée, il entama la lecture malgré mes protestations « Maman, je suis sûr que ça va te plaire, j't'assure ! ». Gros soupir. Je lâchai prise et il commença. Plus il avança, plus j'accrochai et je devinai un petit livre fort.

    Oscar a dix ans et habite à l'hôpital. Il s'entend à merveille avec sa Mamie Rose qui lui rend visite régulièrement. Oscar a un cancer. A partir d'une idée insufflée par Mamie Rose, il écrit une lettre chaque jour à Dieu où il raconte son parcours, pendant douze jours, ses douze derniers jours.

    C'est beau, c'est émouvant et terriblement drôle ! Les couillons de nains qui croient que Blanche- neige est morte, les infirmières qui entament des airs d'opéra quand elles ne sont pas contentes, le médecin qui prend des airs de chien battu quand il s'avoue impuissant, Dieu dont Oscar ne sait rien et principalement son adresse, Mamie Rose ex- championne de catch, ses compagnons et camarades de jeu ( Bacon, grand brûlé, Einstein à la tête enflée par l'eau qu'elle contient, Pop corn le garçon trop gros, Peggy blue bleue à cause d'une maladie... ), ses parents impuissants et maladroits, la vie, la mort, le don, le prêt et l'émerveillement, la gouaille d'un gamin qui égrène son existence en douze jours pour arriver à 120 ans . Magnifique réflexion sur la condition humaine pleine d'humour et de répliques surprenantes. Une surprise que je ne suis pas prête d'oublier tant ce petit livre faussement simple recèle des trésors d'humanité, de pudeur et de drôlerie. A lire aux enfants, à lire pour soi, à partager sans modération.


    Comme le dit mon ami Boris, c'est par des intermédiaires que nous pouvons parler de nos traumas sans effrayer l'écouteur volontaire ou non, c'est par l'art, le cinéma, la littérature, la musique, la création d'autres que la résilience peut s'entamer. Aborder les questions délicates de la maladie, de l'hôpital, des séparations et de la mort est possible avec ce genre de petit livre précieux. Salvateur pour mon fils et moi, il a de quoi l'être pour qui a la chance de le croiser sur son chemin.


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  • La famille.

    Comment définir ce mot ? A-t-il seulement la même signification pour tous ?

    J'ai lu  Serge Hefez, Quand la famille s'emmêle. Étrangement, ce livre réservé au bibliobus est arrivé alors que je l'avais oublié. Il survient sur un champ balayé par les événements, le terreau formé de mes recherches anciennes, labouré par la psychanalyse. Sa lecture est si éclairante, si fertile.

    Psychanalyste spécialisé en thérapie familiale, je l'avais entendu à la radio présenter son travail à la Pitié Salpêtrière. Comme mon ami Boris, j'ai accroché à sa voix, ses mots et la curiosité m'a portée vers sa bibliographie. Cet ouvrage est le premier d'une série à venir, je crois. Il y expose des exemples concrets de famille rencontrées en thérapie et au fur et à mesure ce qui lie ces êtres, dans leurs schémas inconscients, souvent anciens, intergénérationnels et comment la thérapie transforme le non dit insidieux et destructeur en possibilité de relation apaisée.

     Amour et haine se côtoient dans toute relation générant une ambivalence, à la base entre la mère et son enfant nouveau-né.

    Idéalement, cette ambivalence est intériorisée au fil des années puis l'adolescence permet la remise en question de l'héritage parental pour se le réapproprier personnellement, se détacher.

    Idéalement, le gendarme intérieur se construit grâce à celui construit par les parents afin de ne plus avoir besoin d'eux pour se protéger.

    Idéalement, ces cheminements permettent l'individualisation qui entraîne l'autonomie. Devenir soi pour ne plus fusionner avec l'autre, savoir faire la différence entre mes émotions et les siennes, différencier mes besoins, mes désirs des siens, savoir qui je suis...  j'en oublie.

     Idéalement, oui... mais ce n'est pas toujours possible. Alors, par excès d'angoisse suite à un trauma occulté, par excès de projection de soi sur l'autre suite à un ratage dans sa relation au parent, par excès d'amour, excès de haine, de soi, de l'autre, par les jeux répétés depuis longtemps, les êtres s'enchevêtrent et deviennent incapables de se séparer. Malgré les années, les distances, les choix apparemment différents, certains endossent des destins d'ancêtres par loyauté envers cette famille qu'ils craignent de trahir, dont ils craignent d'être rejetés et plus aimés. Ainsi, ils deviennent ce quelqu'un, ce fantôme, ce fantasme rêvé par toutes les parties du groupe. Les liens se tissent, se serrent, deviennent étouffants, destructeurs, auto destructeurs et les vies sont tourmentées, jalonnées de tristesse, de violence, de souffrance. Plus elles sont sourdes, plus le retour est virulent. Les drames surviennent tôt ou tard souvent par des chemins détournés, souvent par les enfants,  leur  adolescence.

    Que la famille soit classique ou recomposée, adoptante ou avec naissance médicalement assistée, mono, homo ou hétéro parentale, la problématique est la même partout parce que chacun des membres baigne dans un univers mental et psychologique commun. Le poids d'un idéal de vie réussie par le bonheur conjugal et familial rend la tâche de vivre ensemble d'autant plus difficile et ardue parce que nous avons tous intériorisé ce mythe de la famille idéale  qui n'existe pas et n'a jamais existé en dehors des fantasmes et représentations morales.

    Familles baignant dans un univers mental traditionnel où dominent les hommes et se séparent les sexes, où le groupe prime sur l'individu, où la société conditionne les vies de chacun, familles de transition où la discussion est intégrée mais la soumission à l'ordre encore prégnante,  familles contemporaines où la société n'intervient plus et où chacun ré- invente sans cesse la façon de vivre ensemble ,  la définition  de famille... Discours réactionnaires sur la chienlit actuelle et le rêve d'un retour à des valeurs  anciennes prétendument salvatrices (Ah si nos ancêtres pouvaient seulement imaginer donner leur avis sur leur condition de vie en famille ! Les moralisateurs  d'aujourd'hui seraient bien décontenancés de les entendre et repartiraient soit dans des délires soit la tête basse).

     L'obligation d'être heureux et en harmonie, vivant tous dans un bain d'amour sans tâche empoissonne nos vies, culpabilisatrice de nos tâtonnements incessants dans la relation à l'autre. Cela n'existe que dans les histoires mièvres. (D'ailleurs, ces prétendues familles parfaites, je les appelle avec ma sœur les bisounours ou les schtroumpfs, hihi.. vilaines que nous sommes). Plus l'image est lisse et proprette en surface, plus la violence est sourde et puissante; l'explosion n'en sera que plus terrible. Au lieu de juger, il me semble plus intelligent de se poser, de regarder, de chercher à comprendre, de défaire les nœuds, de soutenir quiconque prend la peine de se détacher de ses chimères afin de rendre la vie de tous plus sereine, moins violente et de surtout reprendre le dialogue, ensemble, tranquillement. Il est toujours temps de déculpabiliser et de responsabiliser.

     

    Le sujet est vaste et j'en parle certainement mal à travers le prisme de mon ensorcèlement. Je ne peux que constater à nouveau combien nous sommes tributaires de notre inconscient, combien il est le seul maître à bord et avec quelle vanité nous osons nous imaginer plus forts que lui avec notre petit mental, nos raisonnements et nos contes.

     

    Nous sommes tous embarqués dans de frêles embarcations sur une mer déchaînée.


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  • Elle cherche un carnet, poussée par l'envie d'y écrire ce qui la traverse en ces jours où le corps traîne un malaise diffus et le retrouve  derrière un canapé. Viennent quelques mots Ce qu'il y a à vivre, il va falloir le vivre.

     

    Brutalement, un jeune médecin lui annonce l'inéluctable échéance, « Il vous reste tout au plus six mois à vivre ». Le couperet tombe. Alors, elle décide d'écrire au fil des jours cette aventure qui la mènera à son ultime expérience de vie.

    Après le choc, passent les étapes du deuil de soi et de l'avenir au-delà de ces six mois en va- et- vient, l'imminence de la vie qu'il reste, l'urgence à la vivre pleinement. La souffrance et la douleur sont évoquées de ci de là, avec sobriété et pudeur, les peurs allant et venant, fatalement.  Elle leur donne sens dans une marche extraordinaire vers une merveilleuse transition menant ailleurs Toute chose, aussi minuscule, insignifiante soit-elle dans le quotidien est transfigurée, devient sublime, de cette grandeur de la vie que nous ne voyons pas dans l'agitation quotidienne. Chaque personne devient lumière d'amour et de générosité car dans ces circonstances tous s'accordent le droit d'aimer complètement, sans frein.

    Parce que la marche vers la mort s'accompagne d'un dépouillement progressif, s'opère un retour vers l'intérieur de soi et l'essentiel : cette caresse, cette fleur, ce mot, ce bruit, ce goût, cette couleur, cette odeur et surtout, principalement ce lien à l'autre qui nous habite. L'être s'ouvre au monde abattant les murs aveugles d'une vie sans fin, l'être s'ouvre à lui- même et l'immensité de l'univers en soi.

    C'est un terrible contexte de mort et de souffrance, de déchirement et de séparation et pourtant, ce livre est un trésor d'humanité, il respire l'amour de la vie, un amour  qui traverse chaque pore de la peau, d'un amour qui entre, d'un amour qui sort. Récit bouleversant à l'écriture fine et subtile, j'envie à cette femme sa foi en un après vie, en un dieu d'amour qu'elle évoque sans lourdeur, sans nom, sans préjugés ou dogme.

    C'est de Michel en Adelo que j'y suis venue, presque par hasard. Il l'a connue, rencontrée et cette femme dégageait un rayonnement extraordinaire, hommage à la vie, hymne à sa gloire et sa beauté, ode à sa préciosité. Ce dernier livre de  Christiane Singer est l'aboutissement d'une vie consacrée à faire re découvrir ce bien unique et merveilleux qu'est notre vie, la richesse que nous portons tous au creux de notre être. Est-il judicieux d'attendre d'être tout près de la mort pour le réaliser enfin ?

     

    Je suis la personne la plus importante du monde,

    leitmotiv à se répéter chaque matin, c'est urgent, croyez moi.

     



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  • Voilà une équipe qui me tient à cœur ! J'ai découvert les films de Kusturica presque par hasard et j'en suis folle ; il y règne une telle folie, un tel décalage que je ne peux que m'y plaire. En plus, ce n'est pas américain ou franco- français, c'est un cinéma d'Europe centrale où se montre la richesse de pays trop souvent négligés et ignorés. carrefour de cultures et d'histoires. Mon âme est slave et  cosmopolite de cette Europe, ce monde multiculturel  où les xénophobies n'ont pas de place (je sais, je suis utopiste) ; le choix de mon métier est dans cette lignée et certainement pas dû au hasard. La musique des films m'avait de suite plu, trainante, lancinante puis explosive et pleine de vie. Je ne savais pas qui la faisait tout en y pressentant la trace des tsiganes.

     

    Il y a quelques années, j'avais un petit groupe de stagiaires membres d'une équipe de handball locale, roumains et tchèques (stagiaires  désignent les « élèves » plus justement parce que nous ne sommes pas dans une école entre prof et enfants mais les acteurs de formation entre adultes )   ; l'une des femmes me parla de Brégovic quand je lui dis aimer les films d'Emir Kusturica. «Il y règne toujours un parfum d'étrangeté » me dit- elle de ces films. Oh, oui et c'est bien ce qui me plait. Elle m'apporta une copie d'un disque, Kayah et Brégovic, une chanteuse tchèque et les musiciens de Brégovic. Je me régalai sans fin de ces musiques.

    Nous en parlâmes tant et tant pareillement avec Esther, hongroise de Budapest qui vibrait comme moi aux sons des violons tsiganes. (Oh ! tu me manques tellement Esther !) Je pense aussi à Minela, venue de Serbie et de minorité roumaine arrivée en France à 15 ans et si bousculée par la vie ici, son courage et sa ténacité ( elle a réussi à faire un BTS quand même alors qu'elle ne parlait pas un mot de français en arrivant), à Slavija,  de nationalité française élevé par ses grand parents en Serbie et revenu en France pour terminer ses études d'ingénieur, à cette famille de Roms bosniaques musulmans  qui se débrouillait tant bien que mal avec qui je me régalai de leur langue mélange de mots typiques, de turc et de russe , de cette jeune femme avec qui nous disions notre incompréhension face à la guerre en ex- Yougoslavie. Parce que oui, personne n'a compris mais tous ont souffert.

    J'ai vu ce film de Canal + Résolution 819 sur les massacres de Srebrenica et j'ai encore pensé à cette incompréhensible situation. Avez- vous déjà vu une carte de la région ? Cet enchevêtrement de cultures, de langues, de religions ? Ils ont pourtant vécus des années ensemble. Bien sûr, il y eut des guerres, des massacres, des querelles, des incompréhensions tout au long de l'histoire  m'enfin, qui aurait pu imaginer une telle situation à deux heures d'avion de Paris à l'aube du XXIe siècle ?  A cette époque, nous savions ce qu'il se passait sans savoir quoi faire. Bien sûr, nous en parlions, bien sûr, j'ai manifesté contre la guerre en Bosnie, bien sûr, j'ai pris connaissance de ce qui se faisait parmi un collectif d'étudiants... et rien de plus. C'était de la barbarie orchestrée par des voyous, l'impuissance de la communauté internationale... Emir Kusturica dit encore aujourd'hui qu'il a été traumatisé, qu'il n'a pas compris ce qu'il s'est passé. Pourquoi tant de haines entre des peuples frères ?

    «  Bah, ce sont les politiques ! » répondait inlassablement un de mes stagiaires bosniaques en balayant l'air de sa main dans un geste de lassitude.

    Alors, je me dis que nous ne sommes pas des politiciens, que nous nous parlons et  nous écoutons, que nous partageons des goûts communs pour des musiques de l'âme, que je suis fière de mêler dans mes groupes des populations de tout horizon, de toute confession, de faire se parler des populations de tout acabit et de tout milieu.

    Oui, je suis fière de lier les humains  dans un esprit de tolérance à ma petite échelle, envers et contre tout. .

    La  musique adoucit les mœurs et j'en fais un usage intensif.

     

    Vivement que je retourne travailler ! C'est un métier,, une vocation, un engagement, un pan entier de ma personnalité, à l'échelle de mon humanité. Comme je vous le raconterai un de ces jours, j'ai cette chance de pouvoir espérer y retourner. Heureusement.

     

    En attendant, j'écoute les musiques du monde que les stagiaires m'ont fait découvrir et je trépigne de retrouver ce petit monde ouvert et multicolore.


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  • Ma sœur fut la première à me parler de cette histoire :

    un jeune homme, Chris Mc Candless est retrouvé mort, seul, dans un bus abandonné au milieu de la forêt, en Alaska après deux années d'errance sur le territoire nord- américain, dans le plus grand dénuement. Ses parents ignoraient totalement ce qu'il faisait, où il était depuis la cérémonie de remise des diplômes de fin d'études. Il était brillant, issu d'une famille très aisée de la côte est, promis à un bel avenir.


    J'ai d'abord regardé le film de Sean Penn dont j'avais lu les louanges sur l'ode à la nature à travers des images magnifiques.  Oui, les images sont magnifiques mais je n'ai pas vu dans ce film une ode à la nature parce qu'il m'a laissé un goût étrange, une interrogation et un sorte de malaise diffus, innommable. J'y ai vu l'errance d'un jeune homme perdu, en quête de lui- même, pris à son propre piège. J'avais le sentiment que malgré le caractère exceptionnel de son périple, les rencontres et les expériences fortes qu'il a vécues, il n'avait pas d'issue. S'il n'était pas mort en Alaska, je l'imagine suicidé ou mort ailleurs.  A mon humble avis.

    Ayant le livre sous la main, j'eus envie de le lire afin de me faire une idée de l'adaptation du film dans un premier temps, d'y trouver quelques éclaircissements dans un second.


    Into the Wild, voyage au bout de la solitude, de Jon Krakauer.


    L'auteur est un journaliste interpellé par un petit article évoquant la découverte du corps d'un jeune homme quelque part en Alaska, rubrique faits divers. Il fit son enquête et reconstitua le parcours de Chris Mc Candless.

     Dérangeant et déstabilisant.


    Je ne parlerai pas beaucoup de l'Amérique et de sa description à travers ce livre parce que je ne la connais pas concrètement. J'ai été interpellée par ces humains qui décident de vivre en marge de la société consensuelle américaine, j'ai été interpellée par certains comportements fats dans les petites choses de la vie quand ils vivent comme coupés de la réalité de  la nature (gaspillage des ressources naturelles, gros véhicules utilisés pour aller chasser dans des zones reculées et sauvages  par exemple), j'ai été interpellée par la grande solitude de ceux qui ne se satisfont pas des valeurs habituelles, j'ai été interpellée par l'indifférence des nantis à l'égard des moins nantis...

    J'ai  été interpellée mais je n'ai pas les moyens d'en discuter, ce pays ne m'intéresse pas. Mes curiosités à son égard ne m'ont pas  portées à en avoir une vision positive bien au contraire. (Désolée, oui, je suis anti Amérique triomphante) Face à mon ignorance et mon parti pris, je ne me m'étends donc pas plus sur ce sujet.


    Pour Chris Mc Candless, rien ne laissait préjuger une telle fin. Très intelligent, il avait tout pour réussir selon les valeurs américaines. Et pourtant, il a tout renversé violement, partant avec le strict minimum, faisant don de toutes ses économies à une œuvre luttant contre la faim dans le monde, coupant totalement les ponts avec ses amis et sa famille.  Il refusait le système, refusait de se sentir prisonnier de ces valeurs, il est allé à l'extrémité de son idéal de liberté et d'ascèse. Il fut apprécié de tous ceux qui le croisèrent, aucun ne se sent capable de l'oublier. Il a marqué les consciences.

    Il ne fut pas le premier à se lancer dans ces aventures extrêmes, il ne sera certainement pas le dernier, son parcours n'en reste pas moins incroyable au sens de non compréhensible. Que cherchait- il? Le savait- il lui-même ?

    J'y vois une quête désespérée d'identité sans issue. Une vie où les idéaux suprêmes deviennent vénéneux, mortifères puis mortels. Je doute que survivant à son séjour en Alaska, il ait pu trouver la paix en lui et entrer dans la vie des hommes sans encombre. J'imagine une vie forcément sans issue.  J'imagine car personne ne saura jamais ce qu'il serait arrivé en d'autres circonstances. 


    Je ne peux également m'empêcher de faire le rapprochement entre l'auteur et Chris Mc Candless , tous deux dans une relation au père très particulière et toxique. C'est là, je pense, que réside la grande béance dans la vie de Mc Candless. Pas de difficulté matérielle, pas de problème d'éducation, un lien brisé atrocement simplement.

    Quand les parents sincères croient faire au mieux pour leurs enfants et qu'ils passent à côté de leur enfant.

    Quand le père tue son fils avec la plus grande innocence et les meilleures intentions.

    Parce que la sœur de Chris s'entend très bien avec ses parents, je crois que c'est  le lien père/fils qui est en cause. La faille était si profonde que rien à mes yeux ne pouvait la combler.


    Quant à la nature, elle apparait grande et magnifique, superbe, généreuse et froide. Froide aux tourments des hommes, froide à leurs épanchements à son égard, froide à leurs agitations. La Terre porte et nourrit les hommes. Et puis ?  Et puis rien. Les hommes passent et disparaissent dans l'indifférence de la Terre. Comme toutes les autres espèces passées, présentes, à venir. La Terre n'a pas besoin de nous, finit par nous le rappeler à un moment ou à un autre. La Terre  nous tue et nous balaie froidement. Terrible mère nature.


    Si quelqu'un a vu le film, lu le livre, qu'il me donne son avis s'il vous plait. Il y a dans cette histoire quelque chose de froidement étrange, l'idée qu'il est nécessaire de se poser des questions sur notre place sur cette Terre, parmi les siens, dans la société, dans l'humanité.


    Qui sommes- nous pour nous croire si peu ?


    Qui sommes- nous pour nous croire si importants ?


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