• Concours de circonstances. Quatrième.

    Au repas de midi, nous avions de la rosette en entrée, du poisson blanc en filet accompagné de légumes, un yaourt et des pruneaux au sirop. Je mis la charcuterie de côté pour fiston, il est amateur et j'en achète très peu, je mangeai sans entrain le plat, c'était fade, je rêvais d'épices pour le relever. Une femme entra alors que j'en étais à ces pensées et me dis: « Vous avez mangé votre poisson». Surprise, je me tournai vers elle et lus sur sa blouse que c'était la diététicienne; elle semblait rassurée.

    - Oui, je mange bien que ce soit différent de ce que je prépare à la maison; j'aurais voulu un peu de curcuma pour relever.

    - Vous avez l'habitude de manger épicé?

    - Oui. 

    - Nous ne pouvons pas véritablement le faire en collectivité. 

    - Je comprends, ce ne serait pas au goût de tous, il n'empêche que les légumes sont trop fades pour moi.  

    - Ils sont cuits à la vapeur et je tiens à ce que ce soit des légumes frais et non des tout préparés à simplement réchauffer. 

    - Vous essayez de faire de votre mieux  

    - Oui, ce n'est pourtant pas facile avec les impératifs d'économie permanents. 

    - Malheureusement, c'est encore l'argent qui fait la loi. J'avais entendu une émission sur l'alimentation à l'hôpital où quelqu'un se révoltait des choix actuels considérant que c'était honteux de si mal nourrir les malades; il préconisait la généralisation du bio et des aliments vivants.

    Les vannes s'ouvrirent et pendant plusieurs minutes, elle m'expliqua combien il lui était pénible de conjuguer au quotidien les impératifs financiers et sa volonté de proposer une alimentation de qualité. Il émanait d'elle le même sentiment que celui de l'aide- soignante du matin, une sorte d'exaspération, de lassitude et une opiniâtreté de continuer malgré tout pour faire au mieux dans un contexte délétère. Qu'avais- je à faire d'autre que de lui laisser de la place? Elle repartit plus légère et j'en fus bienheureuse.

    L'après- midi, je continuai d'écouter la musique sur le téléphone, gigotant à certaines plus entraînantes car le corps a besoin de se mouvoir; les ondulations débloquent tellement de tensions, je n'allais pas me priver. De même, m'impatientant de l'arrivée de mes visiteurs et de quelques affaires, je fis des allées-et- venues dans les couloirs, traînant la potence et ses bidons encombrants dont j'ignorais la raison. Mon bras se remettait péniblement des piqûres de la veille quand les veines étaient contractées et récalcitrantes, il me tardait de virer ce bardas. L'infirmière d'après- midi vint vérifier le débit et changer le bidon. Comme elle se présentait chaleureusement en donnant son identité et son statut, je lui répondis de même spontanément ce qui la fit sourire; ce n'était peut-être pas habituel. Je lui demandai ce qu'était cette eau en perfusion, « Le médecin tient à ce que vous soyez bien hydratée afin de protéger les reins. » Bien. Sa tâche effectuée, elle m'invita à continuer les déambulations tout sourire; elle respirait la bonté.

    Après quelques échanges téléphoniques familiaux pour savoir qui venait et quand, je préparai le sac à distance avec mon garçon ahuri par tant de demandes: « Maman, tu as besoin de tellement? Tu ne restes qu'un jour ou deux, c'est quoi quand tu pars une semaine alors?! ». Bienvenue dans l'univers débordant de ta mère au cas où tu ne t'en étais pas encore rendu compte, garçon. Affaires de toilette et en particulier la brosse à dents, quelques sous- vêtements de rechange, des chaussons, les médicaments, un livre, un tricot, la console de jeu DS ( tiens, là, il ne râla pas, il ajouta de lui- même le chargeur au cas où). Étant très impliqué dans la vie domestique, j'eus à lui expliquer souvent où se trouvaient les divers objets. Cela nous prit une bonne demi- heure dans une agitation joyeuse et tumultueuse, qu'il m'était bon d'échapper à l'ambiance des lieux!

    Peu après, je changeai de chambre et m'y retrouvai sans voisine. Quand fiston débarqua avec un sac bien plein, je me hâtai d'étaler mes affaires. Je constatai dépitée qu'il m'avait apporté une pièce de tricot terminée, tant pis. Zelda, spirit tracks sur DS et Le trône de fer en lecture avaient de quoi m'occuper pour les heures à venir. Ma mère, comme à son habitude tapa dans le surréalisme: elle avait acheté DIX pâtisseries avant de venir: mille- feuilles, religieuses, éclairs, charlottes. Fiston accepta d'aller chercher des boissons à la machine puis nous discutâmes de choses et d'autres en grignotant ou engloutissant ces sucreries selon les envies de chacun. J'eus droit évidemment à toute une série de vidéos Geek, fiston ayant vraiment besoin de partager avec sa mère insupportable. En même temps, Colette, médecin généraliste hors compétition m'appela pour prendre des nouvelles, s'excusant de ne pas l'avoir fait plus tôt. Je la rassurai sur mon état, mon hospitalisation et lui racontai en riant l'épisode avec le médecin dénigrant les pratiques homéopathiques. Elle connaissait l'énergumène et m'expliqua qu'elle ne se permettait pas de juger ses pratiques alors que lui ne se gênait pas. « Bah, il a probablement besoin de se donner de l'importance, va savoir. ». Elle me connaît bien, elle en sourit.

    A peine la familia partie, ce fut une amie adorable de la danse orientale qui partagea un bon moment avec moi, malheureusement, les gâteaux étaient partis aussi alors nous nous désolâmes de l'occasion ratée à quelques minutes près. Toute à la joie d'avoir retrouvé ma brosse à dents, je terminai la journée calmement entre Zelda et la lecture puis je tâchai de dormir, fatiguée de la courte nuit précédente. Il ne fut plus question de ronflement, bien sûr, restaient les visites discrètes des soignantes de nuit, et surtout l'eau ingérée conjuguée au bidon qui provoquait des levers fréquents aux toilettes. Déjà que ce n'est pas évident en temps normal, la potence rajoutait un élément et je sentis que le retour à la maison devenait un besoin de plus en plus prégnant.

    Au matin, l'infirmière entra tonitruant parlant fort avec sa machine. Réveil agréable, cela va sans dire. Je ne bronchai pas et traînai au lit jusqu’au petit déjeuner. Acrobatie à la toilette, avec les bidons et la potence, au moins j'avais mon savon et non plus celui de l'hôpital dont l'odeur me rappelle les événements pénibles de 2006. Le va- et- vient des agents de nettoyage se fit alors que j'étais en pleine séance de Qi Gong. Entrée sans toquer, la porte laissée grande ouverte, elles étaient dans leurs tâches, je préférai rester à mes mouvements entravés par la perfusion qui me faisait mal. A la visite de l'infirmière, je lâchai mon envie de rentrer, « J'en ai marre». Il faisait tellement beau dehors, le soleil illuminait les couleurs automnales et je n'avais pas trouvé d'endroit où sortir prendre l'air.

    Ensuite, j'écoutai religieusement Sur les épaules de Darwin de Jean- Claude Ameisen, France Inter racontant le monde des abeilles et leurs incroyables capacités puis, dans l'heure suivante, La planète bleue d'Yves Blanc, Couleur3, bulles merveilleuses et nécessaires. Au moment du repas, le médecin, tout sourire, agréable arriva. Il avait eu vent de mon ras- le bol et approuva ma sortie dans les heures suivantes. Youpi!! Il me demanda de prendre les antibiotiques encore six jours et de faire une échographie abdominale pour vérifier les reins. C'était déjà fait, lui répondis- je, tout allait bien donc, aucune raison de s'en faire. A ma grande joie, l'infirmière vint enlever la perfusion et je constatai que le bidon était presque plein. Poubelle. Comme tout le plastique omniprésent. Libérée, je rangeai mes affaires consciencieusement dans un sac somme toute lourd. Quand elle revint m'apporter l'ordonnance, l'infirmière me demanda si j'avais les moyens de rentrer. Envahie par mon besoin de partir au plus vite, je ne demandai rien et expliquai que n'habitant pas loin, je rentrais à pieds. Avant de partir, je refusai de remplir le questionnaire sur mon hospitalisation laissant le tout en plan sur le lit. Je ne veux pas juger de l'attitude des personnels, de leur amabilité, du respect de mon intimité et compagnie alors que je sais que leurs conditions de travail se dégradent, qu'il leur en est demandé toujours plus avec moins. En plus, demander à sourire, dire bonjour, toquer avant d'entrer sont des consignes répétées et exigées du personnel, chacun y met de soi ou pas. Non intériorisées, ces consignes sont des automatismes vides qui ne satisfont personne.

    A 13h, je rejoignis les soignants regroupés dans leur salle pour leur signifier mon départ et les saluer. Je sillonnai les longs couloirs et sortis enfin au soleil, à l'air. Soulagée et déterminée, je me mis en marche savourant chaque pas. Je pensai l'épisode clos, j'aspirai à retrouver la normalité du quotidien. Je pensai... le corps lui, ne pense pas, il vit. Il allait vite me le rappeler.

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  • Commentaires

    1
    Lundi 11 Novembre 2013 à 16:07

    Que tu dois être contente d'être chez toi après toutes ces péripéties. J'ai ressentis de grandes similitudes avec mes séjours répétés à l'hopital, en particulier avec un séjour en urgence  de cet été à la suite d'une prise d'un nouveau médicament pour "la marche"  et qui a eu l'effet d'une bombe sur mon organisme.

    J'ai eu ce ressenti d'un personnel compétent mais tellement pressé et à cran, à qui on exige toujours plus, mais avec moins de moyens. Mais un personnel prévenant, gentil, aux petits soins pour mon bien-être dans un hopital qui m'avait laissé un souvenir amer lors de ma première poussée catastrophe, puisque j'étais ressortie de là avec un anti inflammatoire et l'assurance que tout allait rentrer dans l'ordre en une semaine. Hélas... Mais comme toi, les médecins ont changé, les circonstances aussi et j'ai parfaitement été soignée.

    Soigne toi bien, une pyélonéphrite, c'est sérieux mais bien soignée, il n'y paraitra plus.

    Kosok

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