• Araignées.

     

     

    Dans mon entourage, je côtoie différents ensorcellements du monde autour de cette bestiole. Ceux- là les ignorent, ceux- ci leur laissent de la place, les observent, cohabitent avec elles en connivence. Les uns y voient un signe de négligence ménagère et les chassent sans vergogne, d'autres y fixent leurs angoisses, développent de l’arachnophobie avec des comportements irrationnels, des stratégies de défense ou d'attaque. Quant à moi, elles me permettent de méditer sur la marche du monde, m'ouvrent même des portes insoupçonnées.

     

    L'environnement urbain- urbanisé- hygiénique favorise l'ignorance et l'indifférence; les araignées ne font- elles pas de même avec nous, humains? Nous les dérangeons dans leur instinct de vivre avec nos balais, plumeaux, nos produits, notre agitation; elles finissent par se mettre à l'abri, à l’écart, dans des coins tranquilles, secrets, abandonnés des humains, où prolifèrent la nourriture et la sécurité pour perpétuer l'espèce. La toile d'araignée d'ailleurs est devenue une représentation du temps arrêté, suspendu , perdu , oublié quand usée, elle se remplit de poussière. Elle est également à l'image de la nature résistant à nos obsessions humaines de contrôle et de maîtrise. Avec force et obstination, les araignées s'installent dans les endroits probables et improbables en quête de nourriture, d'espace à vivre. Je me demande souvent comment certaines se nourrissent quand elles persistent à s'installer dans des pièces confinées ou au contraire dans des lieux de passage multiples. Elles envahissent si facilement des endroits que nous négligeons, elles s'y essaient, peut- être sommes – nous aveugles à ce qui grouille dans ces lieux?

     

    La toile d'araignée m'émerveille de par sa matière, sa transparence, ses dessins. Je la sais piège à proie, je l'aime pourtant en piège à rosée, illuminée de la lumière du soleil levant ou irisée des gouttes de pluie s'y attardant. A l'évocation ménagère, je souris intérieurement car me revient en pensée ce livre pour enfant, Chloé l'araignée., d'Antoon Krings Après une vie isolée dans un grenier, Chloé part à l'aventure et découvre une magnifique salle à manger; devant tant de beauté, elle décide d'ajouter sa plus belle toile au lustre de cristal afin de participer à cette beauté. Son ouvrage accompli, elle est fatiguée, fière et heureuse quand tout à coup, un balai vient détruire son chef d’œuvre. Elle repart fâchée, outrée devant tant d'incompréhension. Tout n'est décidément qu'un point de vue.

     

    A l'arachnophobe, je donne de l'empathie car je sens qu'elle n'est que le reflet de tourments intérieurs. Carabosse, parfois, je m'en amuse tant les récits et attitudes sont si exagérés ou irrationnels qu'ils en deviennent drôles (je sais, ce n'est pas malin) . Mon garçon commençait à en être contaminé du fait de récits et comportements de proches arachnophobes, j'ai tâché de l'en dépêtrer en remettant chaque fonction à sa place, de démêler ce qui relevait de l'angoisse, de la transposition de tourments internes, de la fonction des araignées, de leur place parmi nous, des différentes espèces, de la non dangerosité des celles de notre environnement. Il y a peu, il m'avoua en laisser une dans un coin de sa chambre car il savait qu'elle s'occuperait des insectes volants et piquants qui le dérangent. Il ne l'aime pas, c'est certain mais j'ai été heureuse de l'entendre dire leur cohabitation pacifique, coopérative.

     

    Quand je regarde Mariev respecter les araignées, leur parler, les inviter à se déplacer afin de leur éviter quelques dégâts je suis touchée par son univers à bébêtes car il fait écho à mes heures passées à observer le monde dans ce silence intérieur très loin de l'agitation chimérique humaine. Je sens la présence de la vie dans ce qu'elle a de vif et frais avec une conscience aiguë qui résonne fortement en moi.

     

    Chez moi, je ne touche pas aux toiles et aux araignées. Je les observe souvent, les taquine ou m'excuse quand vraiment, leurs toiles sont mal placées et que je les abîme ou efface malencontreusement, volontairement. Je les éloigne des dangers et m'émeus de leur agitation, de leur danse. D'un point de vue purement pratique, je les aime parce qu'elle mangent les mouches, les moustiques, les moucherons. Contrairement à la plante carnivore fragile, elles résistent et persistent sans intervention de ma part, je leur suis reconnaissante pour cela. D'un point de vue complètement irrationnel, celles de ma salle de bains m'ont donné une belle leçon.

     

    Dans la tradition populaire, existent ces adages: araignée du matin, chagrin; araignée de l'après- midi, souci; araignée du soir, espoir. J'y sais des superstitions ancestrales sans toutefois grandement les comprendre en dehors de la musique des sons. Bêtement, l'apparition d'une araignée à tel ou tel moment de la journée ravivait ces adages, fugaces pensées à énergie et impact variables. Évidemment, quotidiennement, je croisais les araignées de la salle de bains la matin, l'après- midi, le soir en raison des allers-et- venues habituels. Au matin, je pensais chagrin, le soir, espoir et rapidement, l'aberration de ces contradictions m'interpella. Je laissai cheminer ces pensées insensées quelques temps et soudain, j'entendis la petite voix intérieure me souffler sa formule magique:

     

    «Chaque matin, l'araignée annonce les agitations, les aléas, les contrariétés, les mouvements du jour à venir car la vie est faite de ces éléments. Et chaque soir, elle rappelle combien ce jour passé fut un cadeau par ce qu'il a donné et permis d'apprendre puis surtout que demain, est une nouvelle page à écrire avec ses promesses et ses espérances.»

     

    Je souris doucement à ces mots, la joie m'emplit puis baigna de gratitude ces araignées de salle de bains. Bien que tout cela n'ait aucune forme d'importance, je suis véritablement ravie de vivre dans cet ensorcellement du monde, il respire et regorge de vie. C'est simplement beau.

     

     

    « Parenthèse pour mon fiston.Vœux 2013. »

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