• Donut était le chat d'Annie. A l'origine, il avait été offert à son fils après une rémission de cancer qui le tua quelques mois plus tard, à 14 ans. Depuis, Annie l'avait gardé près d'elle jusqu'à l'année dernière où la vieille chatte est morte à 15 ans et demi, tranquillement. Quand j'appris la mort de ce chat, une petite voix souffla à mon oreille, je ne m'y suis pas attardée.

    Quelques mois plus tard, Annie m'annonça qu'elle avait une grave maladie, mauvaise surprise au retour de vacances. Je sentis le même souffle et refusai de l'entendre.

    Lors de ces mois pénibles, nous eûmes quelques échanges, mon expérience lui permettant de ne pas avoir à expliquer ou simplement dire, nous partagions. J'étais soulagée de la savoir bien entourée, mes pensées l'accompagnaient, mes prières aussi. J'aurais aimé être près d'elle, c'était compliqué et débarquer dans ces circonstances n'était pas approprié; la présence se mesure autrement.

    Un jour, ne tenant plus, je lui envoyai un courriel pour lui dire que j'avais peur de l'appeler au regard des circonstances alors que j'étais avec elle en pensée et prière tous les jours. Elle m'appela dans la foulée et je lui expliquai que, comme j'étais une lointaine connaissance presque virtuelle, je craignais de ne pas être avertie en cas de malheur ou dans des circonstances malheureuses, par hasard, longtemps après. Elle semblait sereine, tranquille. Quelques jours plus tard, elle m'annonça par hâtif sms qu'elle était hospitalisée, son état s'étant dégradé. Les semaines passèrent.

    Jeudi après- midi, j'en parlais à mon garçon:

    - Je me demande comment va Annie.

    - Ben quoi?

    - Tu sais qu'elle est très malade,

    - Oui

    - Et bien, je me demande comment elle va. Je suis inquiète.

    - Rhôô, Maman, t'en fais pas! Pourquoi tu vois le mal? Ces pensées- là ne sont pas bonnes, sois donc positive.

    Hier, je n'étais pas bien. Je me levais, m'occupais puis sentais fréquemment le besoin de me coucher avec un malaise diffus. Le mal persistant, je m'inquiétais d'une reprise de Devic quand je réalisai tout à coup qu'une migraine était en train de s'installer. Vite, vite, les granules pour l'arrêter avant de me retrouver clouée au lit! Elle était coriace à dissiper, je traînais donc toute la journée, ne supportant pas les lumières vives, certains bruits, l'agitation, la simple vue de tel ou tel aliment.

    A 17h30, un appel sur mon portable, je ne reconnus pas le numéro. Une voix douce se présenta: « Je suis la fille d'Annie, je vous appelle parce que nous êtes dans sa liste de contacts. ». Blanc, silence. Je savais.

    Annie est morte jeudi après- midi.

    Je n'ai pas posé de question, cette jeune femme a été d'une extrême délicatesse et je lui ai seulement dit que mes pensées allaient vers elle, son frère, leurs familles. Elle commença à pleurer en s'excusant, pourquoi donc? Je n'irai pas à l'enterrement mercredi, c'est beaucoup de chambardements dont je ne veux pas, elle a compris. « Que vous nous accompagniez en pensées! » tel était son vœu. Je la remerciai grandement et nous en restâmes là.

    J'annonçai la nouvelle à mon fiston. Silence puis exclamation: « Maman, c'est jeudi que tu m'en as parlé! Tu l'as senti, tu savais!», j'avais oublié. Chacun se réfugia dans son monde pour encaisser l'onde. La migraine disparut dans les minutes, comme délitée. Je priai toute la soirée, c'est- à- dire envoyai de l'énergie en conscience pour elle, pour ses proches, je remerciai sa fille de m'avoir prévenue avec tant de délicatesse, Annie d'avoir existé, de ce qu'elle m'a apporté, la vie de m'avoir fait la rencontrer et chacun de mes gestes lui fut un hommage car si elle n'a plus à se soucier de ses besoins, elle ne jouira plus des petits plaisirs du quotidien, le renoncement à cette vie est désormais total, elle n'est plus à cette réalité.

    Pour moi, nous naissons par hasard, vivons, mourons, disparaissons et il n'y a rien après. Ce n'était pas le cas d'Annie alors je m'en remets à ses croyances, pour elle, par elle. Désormais absente physiquement de ce monde- là, elle est nulle part, partout, auprès de son fils, en chacun de ceux qui l'ont connue. Je sens la présence de son garçon, la sienne, ce souffle à mon oreille, innommable que je ne m'explique pas. Je la sens libre, en paix, présente à ceux qu'elle aime.

    Annie, si tu avais raison, tu peux m'entendre: je te remercie d'avoir traversé ma vie, de m'avoir fait changer des points de vue, d'avoir mis l'abondance à mon esprit et je te souhaite bon voyage, ailleurs, vers d'autres expériences!

     Si j'ai raison, ce n'est pas très différent car je le lui l'ai dit de son vivant et où qu'elle soit, je l'aime au présent.

     


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  • En cet été, il y eut un événement tout particulier auquel je tiens à donner une place d'honneur. La date est importante car pour rappel, je sortais de huit mois de fauteuil roulant dont deux mois alitée en totale dépendance, je remarchais sans béquille depuis quelques semaines après des traitements costauds et de la rééducation intense. Je tanguais encore, ma vessie était complètement anarchique et je ne voyais quasiment rien. Je vivais chez SeN avec mon fiston de 10 ans sans autonomie matérielle, je sentais déjà son renfermement, la perte des espoirs entrevus sur notre relation lors des mois difficiles, la psychanalyse était en marche, si j'étais à ma rage de vivre pleinement pour ne rien manquer ou regretter, j'étais encore sous le choc des événements de l'année passée.

    Mon amie Sandrine des Vosges avait pris le temps et l'énergie tous les jours de m'appeler pendant les longs mois d'épreuves, elle m'avait offert son écoute, ses mots, ses silences et elle fut plus présente que bien des membres de la famille. Comme j'allais mieux, elle demanda à me voir et nous invita à venir passer une semaine chez elle. A mes yeux, c'était une nécessité, tant pour notre amitié que pour signifier le retour à une vie quasi normale, loin des hôpitaux avec des projets et de la légèreté. SeN accepta de nous y conduire, les deux longs allers- retours ne pesant guère devant le calme gagné, il nous largua donc allègrement et repartit vite parce qu'il ne voulait pas perdre de ses précieuses vacances à la maison. Quant à moi, pendant sept jours, je savourais chaque instant en compagnie de ma chère Sandrine, prévenante et bienveillante. Avec elle, nul besoin de batailler, de répéter, elle savait ce qu'était mon corps en ces heures, mon état général, ma personnalité et elle s'adaptait en respectant tant mes limites que ma volonté de les oublier. Ainsi, avec deux enfants à occuper en prime et des alentours à visiter, elle nous concocta un programme au fil de mes possibilités physiques et nos envies notamment une sacrée belle surprise: de l'accrobranche.

    Pour les enfants, la question ne se posait pas, ils étaient ravis et enthousiastes. Si Sandrine ne voulait pas grimper, elle pensa judicieusement que ce serait tout bénéfice pour moi. La veille, elle appela afin de se renseigner et joyeusement, un aménagement fut proposé avec un guide de montagne expérimenté. Quelle joie pour moi d'être ainsi portée par quelqu'un qui s'adapte et ne bute pas sur des présupposés d'emblée! C'était vraiment un cadeau merveilleux.

    Nous arrivâmes à l'heure convenue pour un parcours- débutant puisque tous commençaient.

    Harnais, casques d'abord:

     

    Du sport, surprise d'août 2007.

     

     

    La pellicule se termina avec cette photo et il n'y en avait pas en vente alentour sauf des appareils jetables; Sandrine fit se mieux depuis le sol et j'ai repris en numérique ces derniers en zoomant et arrangeant le truc. Nous ferons malheureusement avec une médiocre qualité.

     

    Petite formation sur les changements de ligne et la tyrolienne:

     

    Du sport, surprise d'août 2007.

     

     

    Et c'est parti pour l'aventure:

     

    Du sport, surprise d'août 2007.

    Du sport, surprise d'août 2007.

    Du sport, surprise d'août 2007.

    Du sport, surprise d'août 2007.

     

     

    Les enfants se sont éclatés, c'était une joie que de les entendre évacuer leurs tensions et leur plaisir dans les cris et les exclamations, des blablas futiles. J'étais heureuse de sentir les arbres, le soleil et le vent dans les feuilles, le chant des oiseaux au loin, la présence des autres. Je fus surprise de ne pas avoir le vertige, moi qui craignais avant de monter sur une chaise. Le vide ne me faisait rien... en même temps, je ne voyais pas grand chose si ce n'est un grand flou et tout se faisait à la voix, au toucher. Le guide a été très chouette, m'expliquant oralement les étapes, la situation présente et le parcours à venir, me plaçant les mains si je demandais à toucher, me laissant faire, n’intervenant quasiment pas; je ne saurais dire à quoi il ressemblait, j'entendais sa voix chaude et joyeuse, j'entrevoyais sa silhouette charmante. Un régal!

    Arrivée au bout, je m'étonnai de la facilité avec laquelle j'avais effectué le parcours. Vessie m'avait laissée tranquille, le corps s'était plié et tourné aux besoins de mouvements, je n'étais pas fatiguée et je lâchai ma surprise sur cette fin arrivée si vite.

    - Je continuerais bien dans ces conditions, vous croyez que ce serait possible?

     - Physiquement, vous en seriez parfaitement capable, je ne me fais aucun souci.

    Nous en restâmes là néanmoins parce que le temps manquait et que Sandrine passait son temps au sol à nous regarder. Les enfants discutèrent un peu puis se calmèrent à l’idée d'y revenir pour aller plus loin. Il en fut donc ainsi.

    Est- il nécessaire de vous dire combien nous étions heureux? Quelle victoire pour moi! Quel soulagement pour mon garçon et mes amies de me voir passer ces cordes, filets, vides et vitesse avec aisance après ces mois d'immobilisation et de reconquête laborieuse du mouvement?

    Cette première expérience d'adaptation en dehors du milieu hospitalier a été une sacrée belle aventure, mon amie Sandrine prouvait que le handicap n'est une limite que parce que des représentations et les refus d'adaptation le rendent tel. Sept ans ont passés, je réalise que j'ai oublié la réaction de SeN à cette époque, lui qui ne voyait que des limites et des empêchements partout et j'en suis ravie. Ma mémoire a gardé le plus important et j'ai entretenu cette veine depuis. Attendez donc de lire la suite! Ceux qui me connaissent dans la durée en ont déjà eu des échos, je vais vous le raconter plus en détail dans les prochains temps. A bientôt!

     


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  • Malgré les renoncements, persista en mon fort intérieur une attitude très particulière: je pratiquais mentalement alors même que j'étais complètement immobilisée au creux du lit. En période de calme solitude, je visualisais le déplacement des influx sur les nerfs, je me représentais la stimulation des muscles, le mouvement qu'ils induisaient et dans mon cerveau, je me tournais dans le lit, je bougeais mes orteils, mes pieds, mes jambes, je marchais, dansais, courais, retrouvais des sphincters opérants, anesthésiais la douleur, je me remémorais les mouvements d'autrefois à pieds, à vélo, en rollers, dans l'eau. Ce n'était pas une simple pensée ou un film mental, non, je mettais ma conscience dans les parties concernées et suivais les chemins parcourus recommençant dès que le fil était perdu.

    Ce ne fut que bien plus tard que j'entendis parler de ces techniques d'entraînement chez les sportifs de haut niveau et des neurones miroirs. Quand nous marchons ou regardons marcher quelqu'un, ce sont les mêmes aires cérébrales qui s'activent, c'est donc une partie intégrante de l'entraînement que d'y mettre sa conscience et d'envisager la démarche physique en esprit. J'ignorais également en ces temps que je méditais profitant de ce fait des bienfaits sur la douleur physique et la souffrance psychologique liée à une telle épreuve. Un instinct de survie probablement. Logiquement, j'en vins à constamment observer les réactions du corps en toutes situations et plongeai sans y avoir réfléchi dans l’expérimentation. Il y eut la rééducation, le réentrainement à l'effort dans le cadre hospitalier, en cabinet accompagnée de professionnels ( articles précédents à chercher pour ceux qui veulent, j'ai toujours la flemme de mettre les liens) puis la vie quotidienne, en fauteuil, en béquilles, en aveugle, en marche en solo.

    Bien sûr, bornée que je suis, je ne me contentais pas d'attendre que l'extérieur m’offrît des opportunités. J'aurais d'ailleurs été bien limitée si je m'étais fiée à SeN. De ses belles promesses, je ne vis rien. Au mieux, il me laissait livrée à moi- même, au pire, il refusait la moindre implication et en prime, critiquait mes choix, niait mes envies. Il fuyait constamment devant la télévision, chez ses parents, en vadrouille solitaire, me laissant seule avec mon garçon. En ces moments, sans soutien, ni accompagnement, j'étais véritablement en prison. Par bonheur, j'avais toutes les autres belles rencontres pour plonger dans l'aventure à la moindre occasion et comme je ne suis pas de ceux qui se soumettent et acceptent sans broncher, je résistais, bataillais quand un projet me tenait la tête.

    La promesse de prendre des cours de danse de couple n'était que du vent et je ne m'y attardai pas, comprenant très vite qu’il avait lancé cette idée pour se rassurer lui- même sur la suite des événements. Par conséquent, je trouvais ma voie seule dansant en fauteuil, avec le déambulateur puis sur mes jambes branlantes, mon équilibre défaillant, dans la maison ( voir notamment l'article Avant de marcher) .

    Il ne voulait pas m'accompagner en promenade aux alentours? Et bien soit! Ce fut la voisine qui s'en chargea, respectant mes faiblesses, insistant cependant pour que la distance fut un peu plus longue à chaque essai.

    Un dimanche, refusant l'enfermement télé- canapé- chacun dans son coin, je proposai une virée à vélo. Il refusa. Tant pis! Malgré les soucis d’équilibre, la vessie capricieuse, la vue faiblarde, j'enfourchai ma bicyclette accompagnée d'un fiston pris entre joie et inquiétude. «Comme je ne vois presque pas, tu roules devant, tu me parles et je suis ta voix, ok? », l'astuce m'était apparue lors d'un reportage sur les athlètes aveugles aux jeux paralympiques. Il s’attela à la tâche vaillamment et nous fîmes une belle balade sur plusieurs kilomètres. Au retour, il fut soulagé et nous étions heureux parce que nous avions réussi, ensemble, à dépasser tous les à- priori négatifs. Je lui dis combien j'étais fière car il avait agi avec attention et soin, porté cette lourde responsabilité avec courage.

    Quelques dimanches matins, je réussis à nous faire conduire à la piscine. A force d'insister, SeN en avait eu assez et était trop content de se débarrasser de nous quelques heures. Il ne nous accompagnait pas comme d'habitude et je pris le parti de me débrouiller seule pour me dévêtir, me rhabiller, entrer, sortir de l'eau. Ce n'était pas facile car les jambes tremblaient, je me sentais si faible quand il fallait extirper le corps de l'eau. Sur les margelles de piscine, je tanguais, me tenais à tous les murs, tâtonnant également, comptant sur la mémoire des lieux afin de m'orienter. Dans l'eau aussi, je ne voyais rien et la pendule à grosses aiguilles me resta longtemps inaccessible; elle fut par ailleurs un repère éclairant sur mes récupérations visuelles ( j'ai déjà aussi raconté ça quelque part). La vessie ne tenait pas, je me vidais donc dans le bassin, sur les bords, discrètement, l'air de rien; je n'avais pas le choix de toute façon et puis, comme tout est mouillé, les lâchages restaient invisibles. Cette préoccupation réduite, je retrouvais la joie d'être portée par l'Archimède à l'abri des chutes. Au début, mouvoir les membres se révéla pénible, j'étais rouillée, raidie, affaiblie, je pris le temps d’adapter les longueurs à mes forces et si je restais loin de mes performances d'avant, je tins à en aligner jusqu'à la limite de préservation d'énergie pour sortir, marcher, se laver, se sécher, se rhabiller seule. Logiquement, à chaque retour, je traînais quelque germe soigné plus ou moins bien par les granules et teinture mère homéopathiques.

    Coriace la fée? Si on veut... Parce que je n'avais pas toujours l'énergie de batailler pour oser espérer aller quelque part ou faire quelque chose et SeN le savait très bien. Je ne voulais pas mourir à petit feu dans une vie morne, triste et sans perspective, alors il était vital de passer outre, de résister, demander et redemander quand l'énergie était là, d'être à l'affût de tout ce qui pouvait venir de l'extérieur quand il y en avait moins. Du coup, j'en ai fait de belles et vous n'avez eu ci- dessus qu'une petite mise en bouche.

    A suivre.


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  • Rapidement, l'évolution de la maladie me contraignit à l'enfermement dans mon propre corps. Je ne le sentais plus que par la douleur, j'étais incapable de le mouvoir, de le diriger, j'étais coupée de lui alors qu'il hurlait constamment de l'intérieur. Il prenait toute la place, celle que je ne lui avais pas accordée certainement, le mal aimant, le mal traitant à coup de mal alimentation, non alimentation ou suralimentation selon les âges, l'épuisant à force d'efforts, de demandes, d'exigences, de chocs émotionnels ravalés.

    Clouée au fauteuil puis au lit, aveugle, j'étais souvent effondrée à l'idée de ne plus pouvoir marcher, courir, danser, nager si j'échappais à la mort. La rééducation fut âpre marquée par ma volonté, mon opiniâtreté saluées tant par les médecins que par les kinés bien que pour moi, elles semblaient des plus banales, spontanées, naturelles. Élodie me parla de la mémoire du corps, un entraîneur sportif de l'hôpital ajouta « Vous étiez sportive avant, ça se sent, ça se voit». C'était dit, entendu et j'en fis une base pour partir à sa reconquête dès que les traitements opérèrent. SeN me promit mille et une activités dès mon retour sur pieds, notamment celle de danser ainsi que son soutien pour mes démarches.

    J'eus à tout réapprendre. Maintenir le buste, retrouver l'agilité fine des mains et bras, soutenir la station debout, tenir l'équilibre, se lever, s’asseoir, lever et avancer les jambes, les pieds, marcher. Les yeux échappaient totalement à mon contrôle, j'adaptais l'environnement, les lumières sans soutien puisqu'à la maison, nul ne voulait comprendre et mettre en œuvre les aménagements minimaux. Mes bras avaient changé avec les circonstances, la paralysie des membres inférieurs les ayant largement sollicités pour effectuer les transferts, soulever les fesses, les jambes quand plus rien ne répondait. Mes longueurs de piscine d'autrefois avaient été bénéfiques pour les muscles des bras, des épaules, du dos. Tous les autres avaient fondus en raison de mon immobilité.

    Dans ces circonstances, tout était à reconsidérer. Il n'était plus question de mouvements et d'action automatiques, sans présence au corps, encore moins de performance. J'en étais simplement à vouloir récupérer de quoi être autonome au quotidien. La première verticalisation fut difficile, je tins cinq minutes manquant de m'évanouir tant le malaise était grand, se lever seule demanda une énergie et une opiniâtreté fortes lors de plusieurs tentatives, les premiers pas nécessitèrent des efforts énormes de concentration, de volonté, de mobilisation de chaque muscle du bout des orteils jusqu'au bout des doigts, monter des escaliers, se tenir sur les béquilles, avancer, ma première sortie de la maison, à pieds qui m'épuisa après 50 mètres au grand étonnement de ma voisine, la vessie qui s'agite et inonde. J'ai déjà raconté ces épisodes. Le sport en soi était un absolu inaccessible en ces heures.

    A suivre.

    Ps: j'ai coupé en plusieurs parties car mon texte initialement prévu est devenu énorme.


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  •  La mouche me pique d'évoquer ce sujet. Comment commencer si ce n'est en résumant ce qu'il représentait pour moi avant la maladie? En même temps, c'est vague- vaste car j'ai vécu trente- quatre ans avant d'être malade et handicapée, nombreuses années aux multiples métamorphoses physiques et agitations internes. Je vais tâcher de faire vite pour ne pas m'enliser. C'est parti.

    Depuis toute petite, aussi loin que je me souvienne, je voulais faire de la danse. J'ai réclamé des années, en vain. Aux âges cruciaux pour la classique, je n'ai essuyé que des refus parce qu'elle déforme le corps (réponse à la con d'un qui n'a rien compris toute sa vie), surtout parce que c'était trop coûteux en terme de temps et d'argent pour les adultes responsables. Il y eut quelque essai en gymnastique dont je me suis vite échappée car j’étais terrorisée sur les agrès. La poutre et les barres asymétriques m'arrachaient des larmes, me tétanisaient. Le vertige... simplement. Un autre en basket se résuma en une séance; une tante m'y avait invitée et je m'y suis ennuyée. Vivre en zone rurale où souvent le seul club de sport est l'équipe de football communale limite les choix d'emblée surtout que les parents étaient des adultes fuyants et incapables de s'impliquer dans l'éducation de leurs enfants.

    A l'école, c'était pénible car je ne comprenais pas la différence entre la droite et la gauche. « La droite, c'est où est la main avec laquelle tu écris» me disait- on. Insensé puisque j'avais la sensation de pouvoir écrire des deux. D'ailleurs, je garde des activités à gauche dont la droite n'est pas capable alors que je suis officiellement droitière et ce ne fut qu'avec le permis de conduire à la vingtaine que je saisis la différence (grâce au sens de rotation du volant) . Vers 10 ans, ma mère m'inscrivit à un cours de danse contemporaine parce que j'étais trop grande pour la classique. Petite et boulotte, c'était terrible surtout pour le spectacle de fin d'année, j'étais si mal dans ma peau. Le corps s'est néanmoins transformé, serrant le haut avec une taille de guêpe pendant que l'adolescence élargissait les hanches amplement. Cela dura un an et demi. Finalement, j'en eus assez des factures impayées, rappelées plusieurs fois avec des menaces d'expulsions du cours; en plus, c'était loin, tard après les cours au collège. A la trappe.

    Dans le secondaire, j'aimais la GRS, la danse, la gymnastique sans y être très performante, mes pratiques n'ayant pas été suffisantes pour me les rendre faciles. J'aimais le volley et les sports collectifs, désespérée pourtant de la course à la performance, à la victoire des camarades. Impossible de monter des stratégies, de s'écarter de la masse courant d'un but à l'autre, les plus physiques monopolisant les balle- ballon. En outre, le sport majoritaire pratiqué était l'athlétisme et en particulier la course d'endurance. JE DETESTAIS! Courir en rond pendant de longues minutes alors que le corps explosait de partout, c'était un calvaire. En prime, je n'avais pas de bonne tenue et des chaussures à 10 F achetées en soldes dans un recoin de supermarché. Quand j'en demandais de plus performantes au seul ayant les moyens de les payer, il me répondait systématiquement que je n'avais qu'à courir pieds nus comme les Éthiopiens. Bel exemple représentatif des murs contre lesquels je butais. Si marcher des heures ne me gênait pas, j'avais beau faire, le corps ne suivait pas à la course. Mes pieds de travers m'en préservèrent une année puis ma rate qui frottait lors des gros efforts provoquant des douleurs insupportables; il y eut des ampoules en pagaille, des ampoules dans les ampoules, quelques malaises. Bref, le sport en classe était une corvée le plus souvent. Quelques professeurs bienveillants notaient mes efforts et ma volonté parfois, heureusement.

    J'aimais nager et en vacances, je passais des heures dans la mer rêvant de plongée sous- marine évidemment inaccessible. Un oncle m'initia à celle avec un simple masque et je pris grand plaisir à me couper du dehors sous l'eau. A la piscine, en classe, il y avait eu au mieux deux trimestres sur toute la scolarité; c'était compliqué parce que j'étais affreusement gênée par mon corps et c'était la course entre le transport, les changements de vêtements. Je crois que nous passions au mieux 40 minutes dans l'eau sur les deux heures de sport.

    Hors scolaire, j'avais découvert avec joie le patinage sur glace grâce à une camarade. C'était loin, personne pour m'y conduire mais je sautais sur la moindre occasion pour me glisser parmi ceux qui s'y rendaient. Je tentai de faire comprendre mon intérêt à mes parents jusqu'à demander une paire de patins pour un Noël espérant au minimum éviter les ampoules avec celle de location. Toute une histoire! Autant dire qu'assister à des cours resta une demande ignorée.

    A l'université, plus autonome et en ville, j'essayai un cours ou l'autre mais ils débordaient et je ne pus donner suite. Me déplaçant exclusivement à vélo et à pieds, je gagnais en résistance avec les années doucement.

    Fiston arriva et comme j'étais seule, la nécessité de porter s'imposa. Mon premier appartement était au 5e étage sans ascenseur alors, ce furent minimum deux séances de step par jour... en plus des courses, du bébé, de la poussette, de la bouteille de gaz voire de plusieurs en même temps à monter seule. Mon garçon étant particulièrement dynamique, s'en suivit un train de sorties, marches, expéditions en tout genre pour qu'il se dépensât, par tous les temps, quelque fut mon état. Au début, je travaillais comme surveillante dans des établissements scolaires où je cavalais toute la journée... pour en repos, me retrouver à cavaler avec mon fiston. Suivirent les virées à bicyclette, les sorties piscine pendant des heures. Avec les premiers salaires, j'espérais me mettre à des activités de loisirs et je tentai le taï chi chuan. Coûteux, tard, loin après des journées harassantes, je ne tins pas le coup très longtemps. La danse ne m'avait pas quittée et je dansai à la moindre occasion, seule à la maison ou accompagnée de mon garçon ravi de cette agitation avec une maman gaie et entraînante. Je tentai de nombreuses demandes auprès de SeN pour des danses de salon, au minimum. Il refusa systématiquement jugeant qu'il savait suffisamment danser ( tu parles!). Par hasard, une amie me donna une paire de rollers, je m'y mis avec joie puisque je n'avais pu faire le patin sur glace auparavant et cela devint une activité importante. Après avoir déposé le fiston à l'école, je partais des heures à rouler sur une piste, à mon rythme, tranquille. J'aimais les sensations et le silence des lieux, c'était beau et agréable de glisser. J'aimais les mouvements amples et souples, l'impression de voler, de flotter, ce que je retrouvais également en nageant sur des longueurs innombrables. Un concours de circonstances fit s'interroger cette même amie adepte de la course de fond. Quand elle découvrit mon opiniâtreté dans les escaliers lors d'un déménagement, elle me souffla que j'étais capable de courir. Je n'y adhérai pas immédiatement, ce n'était pas le moment pour moi. Bien des mois plus tard, j'étais dans un tel sentiment d'enfermement et de cloisonnement que je courus, un jour de pluie pendant de longues minutes autour de la table de la salle à manger afin d'évacuer la morbidité de mes pensées. Surprise de ma résistance, je revins vers mon amie et avec ses conseils avisés, j'entamai la course à pieds, décidée à dépasser l'expérience malheureuse du secondaire.

    De fait, avant d’être malade, je pratiquais la marche, la natation, le vélo, le roller et la course à pieds ( en plus du travail, des tâches domestiques, des travaux, du fiston, etc.). Si je n'étais pas performante à mes yeux et aux yeux de compétiteurs, j'étais décidée à me perfectionner, à me dépasser. J'y évacuais surtout mon désarroi et mes frustrations, coincée dans une vie où je ne me reconnaissais pas, où je ne voyais pas d'issue, je cherchais à repousser les tourments intérieurs, à anesthésier des souffrances diffuses. Il est d'ailleurs fort probable que je m'y suis épuisée. J'ai fait ce que j'ai pu avec ce que j'avais à ce moment, ce n'était néanmoins pas une solution, au mieux une fuite en avant désespérée.

    Et ce fut lors d'une sortie sportive que les premiers signes de la maladie se manifestèrent fin avril 2006: quand je voulus courir, mes jambes ne me portèrent pas. Il n'était plus question de fuir, j'étais acculée. Il était plus que temps, j'avais commencé à donner mon sang et envisageai le don d'organes. Le corps dit STOP.

    ps: de nombreux articles précédents permettent d'approfondir certains points de ce texte. J'ai la flemme de mettre les liens, veuillez m'en excuser. 


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