• Après les fêtes de Noël, depuis trois ans, mon garçon a pris pour habitude de rendre visite à SeN et ses parents, c'est son rituel et je le respecte. Son histoire avec eux lui et leur appartient, elle est différente de la mienne, je comprends qu'il puisse avoir le besoin de les revoir et c'est un cadeau que je lui fais en me chargeant de l'organiser. Plusieurs jours auparavant, j'avais donc appelé pour savoir s'ils étaient d'accord précisant que l'heure d'arrivée varierait en raison des autres impératifs du jour. Si mon interlocuteur fut surpris de la demande, il l’accepta et j'arrangeai le déplacement au mieux: ramener ma mère avant d'y aller, déposer le fiston et faire mon tour de visites. Si mes voisins d'autrefois étaient absents, j'avais d'autres personnes à voir et je convins avec fiston de lui laisser jusqu'en début de soirée en compagnie de ses hôtes.

    D'abord, je ramenai ma mère. La montée des cinq étages lui fut particulièrement pénible, l'arrivée au milieu des dégâts occasionnés par les animaux laissés seuls deux jours d'autant plus qu'elle était mal en point; fiston et moi fûmes choqués de ce capharnaüm et de ces saletés. Nous fîmes ce que nous pûmes dans l'urgence, l'un sortant le chien, l'autre ramassant et rangeant de ci de là. Le temps manquait et ma mère nous pria de partir assurant qu'elle prendrait le temps de faire ce qu'il y avait à faire à son rythme, tranquillement. Je n'étais pas rassurée, nous étions cependant engagés par ailleurs et l'après- midi était déjà largement engagée, je la laissai à contre cœur.

    Mon garçon arriva après 15h 30, bien au- delà de ce que nous avions espéré. « Après tout, me dis- je, jusqu'à 18 h 30 cela lui laisse quelques belles heures» . Je filai de mon côté et me posai chez des anciens voisins multi- culturels avec plaisir. Entre le thé, les bla- bla en deux ou trois langues et une séance de vernis à ongles artistiques par la plus jeune des filles, je me réjouissais et savourais. Vers 16h30, surprise, un message du fiston me parvint: « Maman, tu peux venir me chercher? Ils doivent bientôt partir». Je n'en crus pas mes yeux, il n'avait pas passé une heure sur place, qu'est- ce que cette histoire?. Je présentai mes excuses à mes hôtes qui insistèrent pour que je revinsse avec mon garçon mais j'étais perturbée par les circonstances ainsi que la météo mauvaise, la nuit tombante, aussi, déclinai- je les invitations avec regrets. Arrivée devant la maison, j'attendis plusieurs minutes dans la voiture puis, comme il ne venait pas, j'allai sonner.

    Devant la porte, je retrouvai les émotions d'appréhension d'autrefois, cette maison et ces parents étant les seuls de tous mes camarades de lycée à provoquer ces peurs dont j'ignore la source, les raisons ( qu'il eut été fort judicieux de se fier à cette intuition ancienne). S'y ajoutaient les émotions traversées lors des événements des dernières années et j'en étais donc d'emblée à prendre sur moi afin de ne laisser paraître ou sortir quelque attitude inopportune par respect pour moi et mon fils. La porte s'ouvrit et mon grand dadais parut un sachet à la main discutant avec je ne sais qui. Derrière lui, la mère de SeN. J'observai malgré moi que rien n'avait bougé alentour ou dedans, elle faisait comme si de rien n'était, tout sourire, phrases enjouées et aimables. Je restai sur le qui- vive connaissant désormais ce jeu creux de façade (Ne déclare t- elle pas à qui veut l'entendre que les huit années de son fils passées avec moi était une aventure qui l'avait traumatisé ?) Je lui trouvai mauvaise mine mais j'avais franchement d'autres préoccupations aussi restai-je sur le mode qu'elle opérait. Bla- bla sans importance sur des broutilles, je les remerciai toutefois vivement de leur accueil à mon garçon au grand sourire ravi, le corps traduisant une gêne. Je me surpris en entendant un «A la prochaine! » en partant.

    Dans la voiture, j'étais mal à l'aise, entre curiosité et souci. Je demandai alors simplement « ça s'est bien passé? », mon garçon se dépêcha de répondre que oui, qu'ils n'avaient pas l'air d'avoir été embarrassés de sa venue, qu'ils avaient l'air même contents. Ils avaient discuté de choses banales les concernant et interrogés fiston sur l'état de ses mère, tante et grand- mère. Comme les nouvelles ne sont pas généralement bonnes pour les deux dernières, je laissai échapper un « J'espère au moins que tu as dit que j'étais heureuse, que je sortais beaucoup avec les copines, que j'avais une belle vie! » Il m'expliqua comment il avait raconté mes péripéties hospitalières de l'année écoulée sur un ton comique ( les aventures de sa mère ne l'étonnent plus depuis belle lurette), sans plus:

    - Et avec SeN, c'était comment?

    - Ben, il n'était pas là, il est déjà là où ils partent maintenant.

    - Ah ... Et tu es déçu?

    - Oui, un peu, j'aurais bien aimé le revoir aussi.

    Au fond de moi, j'étais remuée, comment avaient- ils pu le faire venir tout en sachant qu'ils avaient à partir et que SeN ne serait pas là? S'ils avaient prévenu, nous aurions pu faire autrement. Pour des gens soit- disant tellement irréprochables en comportement social et grands donneurs de leçons en ce domaine, je les jugeai particulièrement grossiers sur ce coup- là d'autant que mon garçon ne vient qu'une fois par an. Consciente de tout ce qui se jouait en moi à cet instant, je tâchai de garder à l'intérieur ces pensées, jugements, tourments déplacés et inutiles. De toute façon, mon garçon n'est pas très loquace concernant ses relations avec cette famille car il y ramène des vieilleries sur des représentations qu'il s'est construites de moi suite aux scènes de rupture et il s'échauffe facilement à mes questions imaginant que j'y remets des enjeux du passé ( de par son tempérament et son âge, il rentre, en plus, très souvent dans le camp des adultes en conflit avec moi prenant fait et cause pour eux), inutile donc d'en rajouter. Il ouvrit son sachet et y découvrit une grande boite emballée dans un papier à motif enfantin. Je lâchai malgré moi un « Tiens, ça se voit qu'ils sont grand- parents maintenant; ils auraient pu ne rien mettre plutôt que ça pour un grand de presque 17 ans, non? ». Fiston haussa les épaules sans mot dire puis trouva une enveloppe au milieu des chocolat où une petite somme lui tourna le cœur:

    - Oh , maman, regarde ce qu'ils m'ont donné! Vraiment, ça me met mal à l'aise, je suis gêné.

    - Tu leur as dit que tu en venais pas pour l'argent j'espère

    - Non, mais ils le savent.

    - Je n'en suis pas certaine vois- tu.

    Quelques minutes de silence se firent dans l'embarras de mon garçon puis il lâcha du bout des lèvres conscient au fond de lui que cette question n'était pas anodine:

    - Avant que je ne parte, ben, elle m'a demandé quel était le but de ma visite.

    Grande secousse en mon intérieur qu'il ressentit puisqu'il enchaîna immédiatement:

    - Mais tu vois, maman, sans y réfléchir, spontanément, j'ai répondu que c'était parce que je les aime bien et que j'ai plaisir à les revoir!

    Je ne répondis rien de suite trop occupée à gérer les émotions qui m'envahissaient et dans un élan profond, je demandai en silence à l'univers que cette visite fût la dernière car vraiment, je voulais nous protéger, fiston et moi de ces gens. Je réussis à lui dire calmement:

    - C'est bon signe qu'elle te pose la question, elle avait un besoin de clarté et elle a fait ce qu'il y avait à faire pour y répondre.

    Il acquiesça en silence d'un mouvement de tête.

    - Et c'est une leçon pour toi. Il y a quelque chose à en apprendre, c'est certain.

    Nous n'en parlâmes plus et j'en fus heureuse car j'avais vraiment ma dose pour ces derniers jours.

    Rentrée à la maison, j''eus envie de me changer les idées en surfant un peu sur la toile avant d'aller au lit. L'ordinateur avait néanmoins quelques soucis et ramait nécessitant des attentions que mon garçon, qui y avait mis le bazar, ne voulait pas lui donner, dispute tonitruante à notre sauce inévitable rajoutant une couche légère sur les émotions précédentes. Laborieusement et sans sa coopération, je parvins à trouver un échappatoire et je m'affalai, abrutie devant l'écran avec l'espoir de passer à autre chose... et n'en croyant pas mes yeux, j'appris le décès d'Anaïs.

    Je lus et relus le fil des conversations, incrédule, son dernier message rieur et enfin, l'annonce après la montée des inquiétudes de ceux qui échangeaient avec elle par téléphone alors qu'elle entrait à l'hôpital pour recevoir un énième traitement porteur d'espoir d'une amélioration pour les fêtes de fin d'année. Je suivis les messages d'effroi, de choc, de chagrin... J'étais assommée. Je rapportai la nouvelle à mon garçon, seul vivant à portée de voix qui répondit d'un « C'est moche». J'éteignis la machine, pris une douche puis me couchai dans un état second.

    Les jours suivants passèrent dans une espèce de léthargie, je vivais comme en veille Les gestes habituels, quotidiens me tenaient, les contacts avec mes copines me reconnectaient au monde. Parfois, les larmes montaient et m’inondaient, surtout sous la douche et je pleurais, pleurais. Bien que floues, indéterminées, je laissais toute la place à mes émotions parce que ce que j'avais à vivre, je le vivais. Fiston comprit et le respecta dignement. J'en parlai à ma mère, ma sœur, elles n'entendirent rien trop embourbées dans leurs propres problèmes, d'autres évitèrent le sujet en parlant vite fait d'autre chose, j'échangeai avec quelques malades en direct et formulai cette évidence: cet événement tragique est le terrible rappel de la gravité de cette maladie. Aussi forts soient le choix, la volonté féroce de vivre pleinement, cette réalité est prégnante, irrémédiable, omniprésente.

    Les jours suivants, il y eut la fête du Réveillon avec mes chères copines de la danse; en m'y voyant, nul n'eut pu imaginer ce que je vivais et j'en fus heureuse car avec elles, c'est une belle aventure pleine de joie, de vie, de respect, de considération, d'attention. Grâce à leur présence, j'eus l'énergie pour profiter de la fête, y mettre mon entrain et supporter ce qui se joua ce 31 décembre. Car oui, il y eut un autre événement chargé émotionnellement en ces eaux d'entre- deux.

    A suivre donc...


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    Nous ne sommes rien les uns sans les autres.


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  • Négociations et tractations furent nécessaires pour arriver à rassurer et calmer chacun, avoir quelque chose qui ressemble à une fête de Noël: je me chargeai de tout, repas et cadeaux puisque nul n'avait les moyens d'y contribuer et il n'était pas question de faire la moindre remarque sur ce point car c'était mon choix mûrement réfléchi. Ma sœur accepta de venir le 25 au soir, ma mère traîna et hésita, déprimée par son état de santé et sa condition matérielle, fiston exprima son exaspération sur ces conditions et histoires de famille rendant ces fêtes si compliquées voire douloureuses. Comme il s'attristait de n'avoir personne pour le réveillon du 24, je sollicitai ma mère qui, finalement, céda si je venais la chercher. Ma sœur manqua ne pas venir parce qu'encore mal en point et comme je m'arrangeai avec elle, au lieu d'arriver dans l'après- midi, elle vint en début de soirée. Je préparai la chambre du fiston pour ma mère qui restait deux nuits, le couchage du fiston sur le canapé, la décoration très succincte du salon, de la table, les repas grâce à des morceaux choisis d'Amap et mis de côté ainsi que quelques rajouts, l'installation des cadeaux et tout le bataclan sommaire. Ma sœur jongla périlleusement afin d'ajouter quelques menus compléments, chocolats, toasts, petits présents à la hauteur de ses possibilités et ma mère habituellement critique, au mieux dans le silence osa dire que les repas étaient bons, agréables. Tous semblaient ravis, je fus heureuse d'avoir insisté. Ma sœur passa du temps avec le fiston content de la tournure des événements jusque tard dans la nuit avec des jeux de société, j'étais trop fatiguée pour entamer un Monopoly à partir de 23h30 et je les avais lâchés pour retrouver mon lit, éprouvée par ces jours de fête. Parce que oui, j'étais éprouvée. En plus de l'organisation, des tractations, des préparatifs, j'étais abasourdie de l'état de ma mère.

    Je l'avais cherchée chez elle, accompagnée et aidée dans ses transport et déplacements, installée confortablement chez nous pensant qu'elle s'y sentirait bien, capable de participer. Or, pendant son séjour, je me pris en pleine figure sa souffrance et ses douleurs. Elle passait du fauteuil à la chaise, de la chaise au fauteuil, du fauteuil au lit. Tous ses déplacements nécessitaient un soutien, elle avait besoin d'aide pour se lever, se coucher, s'asseoir. Elle regardait les autres faire, les bras croisés, attendant d'être servie. La coucher fut une aventure périlleuse, pareillement pour la lever. En vue de la soulager et la détendre, je lui fis, le 25, un bain bouillonnant avec de l'huile essentielle et du bicarbonate. Je découvris son corps meurtri, blessé, tuméfié, enflé, difforme couvert de bleus, de plaies. Elle ne put entrer et sortir seule de la baignoire malgré une chaise posée à côté, les appuis de mes bras. Je compris alors qu'il lui était difficile de se laver depuis des semaines. Mal à l'aise, angoissée, elle manqua renoncer au bain et comme je la rassurai, elle s'y plongea et savoura pendant une heure et demie les bulles, parfum, savon, shampoing. Je l'aidai pour se mouvoir, se frotter et lui fis part de mes sentiments quant à son état: comment supporter la dégradation de son corps alors qu'autrefois elle était une si belle femme? Comment supporter les limitations aux soins et gestes essentiels du quotidien? Est- ce parce que j'étais passée par ces moment terribles d'entrée en Devic que je mesurai l'ampleur de ses difficultés, de sa peine tant d'effort que psychologique? Toujours est- il que j'ai été bouleversée. Je la taquinai après son bain bouillonnant car elle restait assise les bras croisés avec un sourire bienheureux: « On dirait que tu as fumé un joint tellement tu as l'air béat! ». Elle était propre, entourée, accompagnée, rassurée, nourrie sur de nombreux points et l'ambiance était détendue envers les présupposés précédents, elle n'avait à se préoccuper de rien, elle était tranquille, au calme, dans un environnement propre, agréable. Ses besoins étaient satisfaits. C'était flagrant.

    Bien sûr, ces fêtes passées, je me trouvai fatiguée, ces efforts s'ajoutant aux conséquences de l'intervention chirurgicale. Je n'en avais cependant pas terminé.

     


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