• Alors que je me croyais capable d’écrire à ce sujet aisément, je réalise depuis quelques jours que la tâche n’est pas si évidente. Dans ma tête, en mon cœur, en mon corps, se déverse une multitude de sentiments, d’émotions comme si longtemps ils avaient attendu l’ouverture des portes. Ce n’est pas violent, c’est un flux tel les eaux quittant l’esprit de la rivière polluée nettoyée par Chihiro dans le film de Miyazaki, parallèle évident avec l’image utilisée en qualification du cataclysme provoquée par la maladie (j’y reviendrai).  C’est un processus naturel finalement car pour comprendre la colère, il y a à identifier les sentiments et émotions ressentis, les besoins non satisfaits qu’elle cache. Il n’est pas question de condamner ou de juger qui que ce soit, il s’agit de rester chez soi, c’est- à- dire comprendre ce qu’il s’est joué en moi dans cette histoire. Lancer des « il m’a menti », « il m’a trahie », «  il m’a abandonnée », c’est exprimer un jugement sans se pencher véritablement sur moi- même et lui infliger toute la responsabilité; « il n’a pas été honnête », «  il a un problème »,  « il est malade », « il a besoin d’une bonne psychanalyse », bla bla sont du même registre, c’est analyser et nullement me connecter avec mon interne et ma part vivante. Alors, dans ces eaux grouillantes, je me suis plongée et y ai observé la vie qui s’y était jouée.

    Etrangement, le premier qualificatif qui envahit mes pensées fut : CHOC.

    Choc de ses premiers mots évoquant l’ambiguïté de ses sentiments à mon égard. Nous étions amis depuis de nombreuses années et je ne m’attendais absolument pas à ce virement. Ce fut digne d’un coup de tonnerre violent dans un ciel serein et tranquille, j’ai été bouleversée, bousculée. C’en suivit un travail sur moi- même car l’estimant grandement, je ne voulais pas venir avec des tourments déplacés et mal juger. J’ai souffert à tâcher de mettre de l’ordre dans ma tête, j’ai sollicité un positionnement clair de sa part pendant des mois. Un an et demi de doutes, de mises au point, de remises en question et de demandes vaines de clarté. J’étais impuissante et démunie devant le flou qu’il me renvoyait, désorientée par ses changements constants de décision. Finalement, le pas fut franchi et je crus que la confiance gagnée avec le temps nous permettrait de construire ensemble une vie riche et belle.

    Choc de nos premières vacances ensemble où je découvris une personne que je ne soupçonnais pas. Après 3 jours, je fondis en larmes, atterrée, abasourdie.

    Choc à son refus d’habiter avec nous après quelques années de promenades et week- end partagés. J’en fus écorchée et cette cicatrice me marqua longuement. 

    Choc du fossé existant entre ce qu’il disait être et la réalité du quotidien, choc de certains discours de sa part et de son entourage.

     Chocs successifs de ses refus de mariage, pacs, achats mobilier  et immobilier communs, chocs des territorialisations inconscientes de l’espace de la maison, choc irrémédiable du refus de l’enfant.

    Choc de ses refus d’aménagement au cours de pires mois de la maladie, choc de son renfermement à mon retour de l’hôpital, choc de ses refus de travailler ensemble sur nos modes relationnels, choc des perpétuelles disputes à la maison alors que je me sentais mourir ou que je remontais laborieusement et péniblement de ma chute vertigineuse.

    Ainsi, tout au long de notre histoire, je fus choquée. L’onde de ces chocs résonnait très profondément en moi, m’anéantissait, me fauchait, me laissait démunie et tétanisée .Ma frustration était une évidente récurrence ; au fil des années, mes rêves, mes espoirs ont été anéantis, balayés violemment, toutes les pistes que j’ouvrais, proposais se refermaient et avant d’être malade, je chutais perpétuellement au point de n’avoir pour seule impression que celle d’être acculée au fond d’une impasse aux murs épais sans fenêtre (ici). Je songeais déjà à partir vers d’autres horizons, ouverts eux ; je m’interrogeais sur les dispositions matérielles du départ quand la maladie est entrée dans notre vie et me cloua sur place. Consciente que cette épreuve supplémentaire à un parcours de vie déjà chargé était insupportable, je sus d’emblée que j’étais incapable de la gérer seule. Je fonçais alors en psychanalyse, anéantie à l’idée de mourir avant de régler mes vieilles histoires et mes travers.

    Je l’ai déjà abordée à plusieurs reprises (Allées et venues en psychanalyse).  Peu à peu, les questions fondamentales survinrent et bien que n’ayant pas d’idée arrêtée sur ce sujet, je réalisai en écho aux paroles d’Elodie la corrélation du corps et de l’esprit :

    Pourquoi cette maladie ? Et pourquoi s’exprimait- elle de cette façon ? N’était- elle pas le reflet de ce qui se jouait en moi ?(D’ailleurs, les portes ouvertes par ses questions m’accompagnent quotidiennement et me conduisent à envisager les événements sous d’autres angles, constamment).

     Mes relations malsaines à SeN revenaient continuellement en séance car elles empoisonnaient mon quotidien et là, entre les murs du cabinet, mes doutes avaient leur place, je ne risquais pas les visages ahuris ou réprobateurs de ceux qui ne voulaient entendre mes nuances quant au dévouement de SeN à mon égard. Après des mois de rendez- vous hebdomadaires, je me pris un nouveau choc en pleine figure : je compris subitement qu’il était un avatar d’une relation du passé. Cette personne n’a pas pu/su exprimer son affection à mon égard. Longtemps, j’ai tâché de devenir celle dont j’imaginais qu’elle pouvait rêver et de nombreux choix lui sont inconsciemment liés. Ce fut un échec, une longue suite de blessures, frustrations, révoltes engendrant chez moi une profonde tristesse aggravée par d’autres tourments de l’entourage. Si je sais désormais que cette personne était elle- même  poursuivie par une relation toxique à sa mère (une femme mauvaise et méchante, aigrie et dévorée par ses tourments internes), que ses paroles évoquaient  ses propres frustrations, j’ai souffert de cette relation parce que j’avais besoin d’un retour d’image positive, je n’ai eu qu’en miroir des remarques et réflexions blessantes, humiliantes, une litanie de critiques.  Mes couples ne furent que des répétions de cette relation. L’un me renvoyait à la destruction en écho à l’image que je m’étais construite de moi-même, une forme de suicide programmé dont la venue de fiston m’a sauvée (un instinct de survie déjà), SeN était la répétition de cette personne prisonnière de son histoire personnelle déversant ses frustrations, colères, sentiments d’impuissance et d’échec.  

    J’étais effondrée à l’instant de cette découverte, pleurant toutes les larmes de mon corps et je poussai ce cri de désespoir : « Qui me dit que je ne recommencerai pas une troisième fois alors ?! ». La psychiatre me répondit  simplement: « Cela n’arrivera plus parce que maintenant, vous en avez conscience ». Et oui. A partir de ce jour, je décidai de tout mettre en œuvre pour sortir des relations toxiques et étais toute à l’espoir de re- fonder ma relation à SeN sur des bases assainies et positives, je ne doutais pas qu’il s’embarquerait dans l’aventure avec moi. Malheureusement, il en fut autrement, il se replia sur lui- même, refusa les discussions, les aménagements, les négociations. J’étais face à un mur. Je fus à nouveau choquée, puis passai ensuite alternativement par la colère, le ressentiment, le découragement, n’ayant pas de mot pour dire ce que je ressentais véritablement. Mon ultime échappatoire fut de fuir.

    Plus tard, en discutant avec mes camarades de communication non violente/ bienveillante, un intervenant m’offrit le sens de RELATION. Être en relation, c’est être relié à l’autre, partager nos sentiments, nos ressentis, c’est partager ce qui est vivant en chacun. Et force était de constater que si un lien inconscient est fondateur et puissant entre nous, SeN et moi n’étions pas en relation. Toute notre histoire n’est que la répétition malsaine de schémas du passé. Comme nous étions enfermés chacun dans notre histoire personnelle, la rencontre a périclité puisque qu’il n’y a pas de place pour l’autre là-dedans, il n’est qu’un prétexte à rejouer la même petite chanson ratée d’autrefois que nous avons cherché à recoller, à réparer, vainement. Toutefois, dans ces propos, j’analyse et pense, je ne suis pas dans ce chemin vers soi. Ce fut lors d’autres évènements que je commençais à comprendre ce qui se cachait derrière ma colère et mes accès de fureur lors de mes retrouvailles hasardeuses avec SeN ou le croisement d’un des membres de son entourage.


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  • La colère est une pensée, un remous du mental qui cache en fait des émotions ou sentiments mal définis. Par de là la colère, c’est une part de nous, de notre histoire qui se rejoue, s’agite désespérément afin de se faire connaître, reconnaître ; elle a simplement besoin d’être entendue. Nous sommes souvent démunis face à cet état parce que nos éducations et cultures ne nous donnent pas les moyens de s’y pencher préférant culpabiliser ou accuser autrui de la responsabilité de notre état. C’est un labeur que de sortir de nos conditionnements initiaux, de marcher vers la clarté, la prise de conscience de notre responsabilité, l’émancipation affective. J’ai eu besoin de temps pour comprendre pourquoi j’avais tant d’agitation en moi au contact de SeN, de cette maison, de ce jardin, de sa famille, je commence à comprendre et j’en parle aujourd’hui avec l’espoir que mon expérience ouvrira des portes à d’autres confrontés eux- aussi à ces états désagréables qui minent l’âme, le corps, l’esprit, le quotidien, la relation à autrui, parfois des vies.

    A une pensée concernant le vécu en leur compagnie, en ces lieux, à nos relations, je sentais une confusion gonfler subitement en moi, un truc diffus, mouvementé et détestable. Envahie intérieurement, je me retrouvais hors contrôle, à fleur de peau puis,  prise par ce flou intérieur où tout et son contraire se bousculaient,  j’explosais au moindre prétexte venu de l’extérieur. Consciente du potentiel empoissonnant de ce truc, je ne me sentais toutefois pas capable d’y voir clair seule, encore moins d’arriver à le gérer d’autant que la maladie et les handicaps demandent à eux- seuls beaucoup d’attention et de soins. J’avais besoin d’aide et je l’ai cherchée, mue par un instinct de survie ne supportant plus les blocages, les peurs, les angoisses, les reproches, les jugements, la culpabilité, les accusations, les fuites, l’enfermement, la destruction insidieuse, la mortification.

    Ainsi, j’ai plongé tête baissée dans la psychanalyse, j’ai entamé l’écriture du blog, j’ai commencé le Qi gong, j’ai mis en pratique laborieusement et maladroitement les enseignements de la communication non- violente/ bienveillante grâce à Nadine et Yolande, j’ai plongé en moi- même, j’ai ouvert les yeux intérieurs, j’ai fait un immense ménage et les bouleversements internes ont bouleversé tranquillement mon extérieur. Ensuite, j’ai pris le large, je me suis enfuie pour me protéger, protéger mon fils, protéger ce qu’il y a de vivant en moi. Chaque jour est devenu un cadeau du ciel, chaque mouvement, activité une victoire. Dans les événements quotidiens, je puise de nouvelles ressources, de nouveaux apprentissages et bien que certaines circonstances soient d’apparence malheureuses, j’en profite pour les aborder autrement en métamorphosant doucement mes pensées et mes fonctionnements. Peu à peu, naturellement, j’ai commencé à voir clair au sujet de mon énorme colère à l’égard de SeN, de cette maison, de ses proches, de ce gâchis de vie. C’est sur ce chemin que je m’engage à partir d’aujourd’hui, m’y suivra qui veut.  


    Résonnance d’ici, résonnance au printemps, résonnance à la renaissance.


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  • Ce petit bout de terre avait grandement contribué à ma venue en ces lieux, ce fut également lui qu’il me fut le plus pénible de quitter. Dans la longue quête d’un logement, après des mois de recherche laborieuse, j’avais trouvé un joli logement qui m’apparut tel un signe de départ imminent. Je n’en pouvais de toute façon plus de vivre entre ces murs empoisonnés et je commençais à emballer mes affaires le cœur toutefois pincé par l’absence de terre à ma disposition et l’étroitesse ridicule des balcons. Comme il m’avait été signifié que des plantations que j’avais installées étaient gênantes et destinées à la destruction si je les laissai en place, je donnai le rosier et les framboisiers à mes amis voisins. Etonnement, je dégottai alors un autre logement à moins d’escalier, plus petit, à refaire avec alentour des espaces verts importants où chaque locataire peut vaquer à quelques jardinages dès lors que l’entretien est fait correctement ; ni une ni deux, je m’engageai sur cette voie enthousiaste. Le déménagement étant en soi grandement problématique en raison de blocages incessants et ressassés,  je négociai le déplacement de mes plantations avec SeN afin qu’il me laissât du temps au gré des saisons pour les transplanter aux meilleures conditions. Il fut d’accord et je lui fis confiance.

    Une semaine après notre départ précipité, je revins chercher des affaires. Je découvris stupéfaite que la boite aux lettres branlante avait été redressée et le petit coin de terre qui l’entourait nettoyé, aménagé, retourné, arrangé.  J’étais furieuse ; pendant 5 ans j’avais demandé de l’aide, personne n’avait bougé le petit doigt pour ce faire et j’avais laissé tomber devant les grosses racines de ronces trop fortes contre moi. Et pourtant, j’en avais arraché, coupé, enlevé de mes mains, griffée et blessée par les épines, j’en avais soulevé des pierres et des bouts de terre, ramassé des détritus. Seule. Mon désir d’y mettre des arbrisseaux et des fleurs avaient été jugé inopportun et rien ne se fit en dehors d’un arrachage contraint par la chute d’un arbre. J’agaçai ce petit monde en demandant à la pelleteuse venue pour enlever la souche de l’arbre du jardin de faire de même pour les racines des ronces. Handicapée et malhabile, je ne pouvais l’arranger seule. Tant que je restai dans la maison, nul ne donna suite à mes demandes répétées. Finalement, je laissai tomber... et en moins d’une semaine, ce fut fait après mon départ. « Ce sont mes parents qui s’en sont occupés » entendis- je pour seule explication.

    Pareillement, alors que je croyais avoir le temps d’y revenir tranquillement, j’entendis de plus en plus de remarques détournées quant à mon incapacité à dégager vite fait les lieux. Un jour, en visite auprès de mes anciens voisins, j’en profitai pour remplir ma voiture d’autres cartons. La mère de SeN intriguée par le mouvement autour de la maison alors que son fils n’y était pas vint voir et me découvrant m’interpella depuis le jardin. Elle m’expliqua alors qu’elle et son mari prévoyaient de le nettoyer et que pour se faire, ils avaient besoin de savoir ce que je voulais garder afin qu’ils ne le jetassent pas. Je fus secouée, j’eus peur ; connaissant leurs goûts, je craignais pour mes plantes, leur sécurité, leur existence. Je les vis finir lamentablement en déchets verts avant que j’eusse le temps de les ramener chez moi. Ce fut le départ d’une escalade.

    Plus tard, exaspérée de ces sous- entendus insidieux, de ces changements incessants d’arrangements, sous les yeux de SeN et de sa mère, j’arrachai des herbes folles des plates- bandes, je détruisis le potager en carré, arrachai les structures pour plantes grimpantes, retournai et ratissai ce qui avait été mon potager, récupérant hâtivement quelques plants. Je sentis une gêne, je n’en avais cure, je ne suis pas d’un acabit à faire dans la demie mesure. Du bout des lèvres, SeN me dit qu’il n’en attendait pas tant. « Sait- il seulement à qui il a affaire ? » pensai-je. L’hiver venant, je songeais au printemps pour la suite, je négociai un nouvel accord encore.

    Dans l’agitation absurde du déménagement de mon mobilier engendrée par les barrages de SeN refusant l’entrée d’étrangers dans SA maison plus les travaux nécessaires au nouvel appartement, je n’eus guère d’occasion à récupérer mes chères plantes d’autant que ces opérations ne se font pas n’importe quand. Pendant des mois, ce fut le déclencheur de violentes disputes et théâtres, le prétexte à un flot de reproches et menaces diverses. Sans mes connaissances et ma prise de conscience grâce à la communication non- violente (bienveillante), c’eut été bien pire et destructeur. Je suis néanmoins passée par des phases de colère, de révolte et de peurs hautes en couleur.

    Les saisons ont passés, j’ai observé, écœurée l’évolution du jardin. Les herbes aromatiques, les fraisiers sauvages, les primevères, les muscaris, les topinambours, les rates, les narcisses, les tournesols, les soucis, … tout a disparu. Les rondins ont été redressés et alignés, les petites fleurs sauvages coupées, les surfaces recouvertes de gazon et d’écorces uniformes. Je me demande même si le coin du potager n’a pas été traité chimiquement pour être nettoyé. Le bac à compost lui- même m’a été retourné et son contenu débarrassé. Tout est taillé, aligné, droit, les couleurs sont rares. Les quelques grandes plantes non  abominables thuyas sont celles que j’ai laissées et les revoir me serre le cœur. Certaines sont devenues trop grandes, les déplacer leur ferait courir un risque qui me blesse,  je ne demande qu’à ce qu’elles s’épanouissent, deviennent belles et opulentes, c’est un véritable travail de séparation qui s’opère en moi à leur égard. Heureusement, j’ai aménagé un petit coin derrière chez moi, j’y ai transplanté quelques-unes de mes favorites et malgré la violence inouïe engendrée par cette question, j’ai réussi, maladroitement à trouver un arrangement avec SeN afin de pouvoir enfin me libérer définitivement de cet endroit : il est d’accord pour payer de nouvelles plantes afin de compenser la perte de mes plantes chéries qui donc resteront dans ce jardinet.

    Ce fut pénible et laborieux, un long chemin de croix. Maintenant, je suis à mes plantations présentes, je rêve de jardin partagé, je traficote un compost clandestin en plus d’un intérieur, j’ai des projets de légumes, de fleurs, de petits fruitiers, d’herbes aromatiques nouvelles et je ne reviendrai plus dans ce jardin tout comme je refuse désormais d’entrer dans cette foutue maison où j’ai tant souffert, où partout maintenant se multiplient les travaux que j’ai sollicité des années en vain. Depuis belle lurette,  j’ai la tête bien au-delà, je suis à d’autres voies, ces histoires ne me revenant qu’au détour de ma confrontation à ce passé détestable. J’oublie ces personnes, ces lieux, ils ne sont plus que des références lointaines me permettant de mesurer le chemin parcouru ces dernières années. Parce que je me respecte, je sais que je mérite mieux qu’une guerre de tranchée quotidienne, une vie coincée et cloisonnée par des peurs et des angoisses mortifères ; les murs de ces impasses ont volé en éclat et je gambade allègrement sur des espaces ouverts où les possibles se multiplient. Ce qui coince à ce jour devient une nouvelle leçon, une nouvelle expérience et mon entourage transformé pareillement à mon intérieur m’accompagne dans la joie. Grâce à eux, grâce à leur amour et l’amour que je me porte, je transforme mes pensées et ce qui me semblait insurmontable alors que j’étais plus jeune, en pleine forme, pourtant perdue et affreusement seule se délite sous l’effet d’une force de vie venue de mon cœur, de mon âme. Et je suis heureuse de conclure sur ces mots le chapitre des possibilités de la maison qui en fait n’étaient que des impossibilités de vie sclérosées et sclérosantes. Mon récit désormais sera celui de ma convalescence, de ma reconquête du monde. Elles sont souvent visibles en pointillé précédemment, elles ont maintenant toute la place car il n’est plus question de mort, il est question de VIE. 

     


     


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  • A l’instant, je me suis souvenue de mon carnet de bord du jardin que j’avais entamé en parallèle des travaux terriens. Pratiquant le jardinage en carré, en néophyte, j’avais jugé opportun d’y noter mes semis et associations de fleurs et légumes sur ces petites surfaces à rotation rapide. J’y revois radis, salades, carottes, betteraves, navets, échalotes, oignons, poireaux, haricots, melons, courgettes, pommes de terre, poivrons, tomates, basilic, ciboulette, œillets d’Inde, mâche, rutabaga, épinards, choux, céleri, citrouille, fraises, ... Les récoltes étaient capricieuses, le sol n’ayant pas été nourri et écrasé par les pluies ruisselantes, la stérilité du sapin et des thuyas. J’avais besoin de temps pour apprendre à le connaître ainsi que le climat semi- montagnard de la région davantage pour le nourrir, le fertiliser. Je refusais les produits chimiques et travaillais avec un calendrier lunaire. Ce fut laborieux d’autant que nul ne comprenait ma démarche. Ils restaient décontenancés ; à leurs yeux, c’étaient perdu d’avance. SeN critiquait le goût des légumes et n’en mangeait quasiment pas. Je me régalais dès que possible en prenant toutefois garde de bien les laver en raison du fort passage de voitures et camions le long de la maison.

     Au printemps 2006, je n’ai pas pu m’en occuper car les premiers symptômes de la maladie survinrent simultanément aux premiers rayons de soleil. A l’été, je fis ce que je pus tant que j’étais mobile et puis à partir d’août, c’en fut fini de mes travaux de terre et verdure. Le jardin et mes plantes furent abandonnés.  S’il est vrai que ma dégringolade effrayante fut une évidente contrainte, je vécus en ces heures un véritable crève- cœur. Alors que je me sentais partir vers un ultime voyage, je supportais très mal de voir mes plantes geler parce que laissées dehors, le jardin sombrer dans une décrépitude abominablement triste. Cette répétition de mort en écho à ma propre dégénérescence m’était insupportable. J’avais besoin de vie, de l’espoir d’une continuité de la vie que j’avais accompagnée. Il n’en fut rien.  Aussi, quand à la première sortie en 2007 je pus entrevoir des fleurs de bulbes que j’avais plantés, sentir les herbes aromatiques rejaillir, ce fut une victoire à plus d’un titre.

    En mai, j’avais cassé les pieds à SeN pour qu’il travaillât la terre des carrés et plates- bandes. En bougonnant, il s’y attela et je pus engager de nouvelles plantations avec l’aide d’un fiston enthousiaste ; celui-ci d’ailleurs demanda à avoir son propre carré ce dont je fus particulièrement fière. Nous récoltâmes évidemment des légumes en nouvelle victoire, joyeusement. A la fin de l’année, le malheureux arbre mal placé et balafré de mauvaises coupes précédentes fut enlevé ainsi que sa souche. SeN agrémenta une terrasse avec quelques bordures supplémentaires. Le gazon fut replanté et ce fut avec obstination à nouveau que j’obtins le droit d’y planter des graines de fleurs sauvages que fiston mit en place au hasard des vents. Je continuai mes plantations de ci de là avec par exemple des topinambours dans un coin.  Ils n’étaient pas bienvenus et difficilement tolérés, je les récoltai sous la pluie et les mangeai seule, heureuse de leur saveur particulière. Constamment, je faisais le dos rond aux réflexions.

    Les deux années suivantes, je continuai malgré mes limitations physiques, le flot des critiques et des jugements insidieux incessamment répétés. A chaque printemps les éclosions de fleurs m’enchantaient, je savourais les légumes et herbes récoltés, je tentais des expériences toute à ma découverte continuelle, je me réjouissais pleinement de ces fruits et de cette vie.  Avec ma vue très basse, je ne voyais pas grand-chose, tout passait par les odeurs et le toucher, c’était un nouvel univers sensoriel. Je demandai de l’aide, un accompagnement surtout visuel pour juger de l’état des herbes folles, de certaines plantes, des fruits et légumes, les réponses étaient peu impliquées et ce  fut outrée que je découvris  la quantité énorme de framboises écrasées au sol parce que non récoltées ! Ce fut encore moi qui m’obstinai à les ramasser, à les cueillir afin d’en profiter au moins une fois ! Vraiment, je ne comprends toujours pas ces attitudes : les fruits et légumes du jardin ne sont pas propres et n’ont pas un goût habituel, ceux du supermarché sont tellement mieux,  propres, emballés, communs, connus. C’était à désespérer.

    En pied de nez et opposition à la tristesse du jardin avant mon arrivée, voici quelques photos de nos œuvres :

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    chèvrefeuille fleurs de chèvrefeuille

    ciboulette thym

    melon surprise myosotis

    au-jardin--4-.jpgpotiron-rescape-ete-2008.JPG 

    potiron unique octobre 2008

    oeillets PICT0734

    PICT1036

     

     santoline

     

    PICT1244 Survivantes !!

    yopinanbours 

     

    topinanbours-novembre.JPG

    lavande-et-rate.JPGrattes du jardintomates-coeur-de-boeuf.JPG 

    au-coin-d-un-carre.JPG

     

     

    Contre le refus du jardin opulent, le refus de l’engagement, le refus de l’enfant, le refus de la vie, j’ai lutté. Si je l’ai payé chèrement jusque dans ma chair, je ne regrette rien car je refuse la mortification. En moi, bouillonne la rage de vivre. Et quitter cette maison était une nécessité pour ne pas y mourir.


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  • Derrière ce mot simple, se cache une multitude de questions, démarches et interrogations, des perceptions du monde fort variées. Un jardin n’est jamais anodin, il est le révélateur de celui qui le conduit, de ses propres mains ou à la commande des mains d’autres. Il parle des goûts, des désirs, des choix de vie, des images ou façades de chacun, des modes auxquelles adhèrent ou non les propriétaires, de ses possibilités aussi. IL porte la marque des générations, des cultures, des origines géographiques. Un jardin est un livre ouvert.

    Il y a longtemps (24 janvier 2009, ici) j’avais entamé cette réflexion en publiant des photos du jardin quand je suis arrivée dans cette maison. Non par hasard, je n’ai pu continuer cette analyse ; désormais, le temps me parait convenu. C’est avec lui que je conclurai le laborieux récit de la maison aux multiples possibilités non pour ressasser des rancunes mais bel et bien pour en finir avec le pénible deuil des espérances anéanties et ravagées par les enjeux inconscients d’une relation empoisonnée. N’en déplaise à certains, ce récit amer a tout son sens dans celui du parcours de la maladie. Ils sont intimement liés parce que tel est mon cheminement intérieur, l’un comme l’autre y ont leur sens et leur place. Ils font aussi ce que je suis aujourd’hui par le récit que j’en fais, par mon appropriation intime des événements, par mon ensorcèlement du monde. 

    Le jardin fut l’élément déterminant à ma venue. L’impression première dans la maison avait été mauvaise, je me rassurais de pouvoir profiter pleinement d’un tout petit bout de terre. SeN avait déclaré qu’il s’installait là pour fiston et moi car cela pouvait nous offrir des possibilités positives, le jardin étant assurément une opportunité à mes goûts naturels et champêtres. D’emblée, cependant, il prévint : « Je ne m’en occupe pas », il n’aime pas ça, il préfère de loin d’autres activités. A priori, ce n’était pas grave, je me réjouissais d’y faire ce que bon me semblerait. Je ne mesurais pas l’ampleur de ces circonstances.

    Seule, j’ai commencé le grattage de la terre : j’ai installé des bordures avec des fleurs et des framboisiers, j’ai retourné un coin de terrain pour y installer un potager. Déjà, les critiques fusèrent : je m’y prends mal, c’est tout tordu, ne dépasse pas ce coin parce que je veux le reste pour la détente, pourquoi tu veux faire comme ça ?, Rhô, mais ça ne va donc pas !!!  Mon projet de potager en carré semblait impensable, impossible, insurmontable et je me suis obstinée envers et contre tous. SeN accepta l’achat de planchettes qu’il assembla à ma demande. J’ai continué à démarrer un compost, à refuser les produits chimiques, à nourrir la terre, à me pencher sur les fonctionnements naturels du sol et les cycles lunaires. Je pestais contre ces thuyas abominables, acidifiants et stérilisants. Quand j’expliquai à ces descendants de paysans coupés de la terre qu’une taille radicale s’imposait, ils ne me crurent pas « On ne va pas les tailler alors qu’ils ont tellement de mal à partir ! ». J’ai regardé la lune, insisté et insisté et finalement, elle fut faite. Ils repartirent si vite en hauteur et en épaisseur qu’ils n’en revinrent pas. Ils répétaient à l’envi que je pouvais faire ce que je voulais dans le jardin, ils ne s’en mêlaient pas pourtant mon jardinet un tantinet sauvage ne leur convenait pas, ce n’était pas propre. Je n’eus pas d’aide pour arracher des ronces aux racines profondes et épaisses ou pour quoi que ce fut d’autre d’ailleurs. SeN refit des planches plus hautes à ma demande en pestant après un an des premières.

    Le jardin fit le bonheur de mon fiston qui adorait y cueillir des framboises et des fraises sauvages, il passait des heures dans son riquiqui bac à sable décrié à son installation, nous y mangions souvent en pique- nique ou barbecue improvisés à l’ombre du grand arbre. Malgré le vacarme et les gaz des camions qui accéléraient devant chez nous en semaine, à certaines heures, j’aimais gagner en diversité, observer le retour des fleurs, des abeilles, des papillons, des sauterelles sur ce petit coin de terre autrefois morne et stérile. C’était loin d’être facile je ne doutais pas néanmoins du bien fondé de ma démarche et aspirais à l’installation d’un nichoir à oiseau, d’une petite serre, de petits arbres fruitiers, lançai l’idée de parcelles de pommes de terre, réfléchissais à l’installation d’une balançoire, d’une petite pièce d’eau...., une foule de projets pleins de vie.

    Arriva l’été 2006.


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  • En ces heures printanières, alors que fleurissent les plantes alentour, je me souviens de ce printemps particulier. Les mois précédents avaient été éprouvants, la maladie m’avait clouée huit mois entre fauteuil roulant et lit, je ne pensais pas, au creux de l’hiver, revoir un printemps… Et les traitements ont opérés.

     La maison n’était pas adaptée, l’accès à l’extérieur impossible avec un grand escalier, pareillement pour ceux du jardin et de la rue agrémentés de marches supplémentaires, d’allées et trottoirs trop étroits pour un fauteuil ET en prime, des pentes accentuées de chaque côté de la maison. SeN avait refusé de déménager et d’entreprendre des travaux d’aménagements. A la visite de l’ergothérapeute, il argua d’une rampe d’accès qu’il fabriquerait lui- même expliquant les plates-formes, moteurs et poulies auxquels il songeait. Rien ne se fit et tant que je ne pus mobiliser mes jambes, je fus tributaire du bon vouloir de ceux capables de monter et descendre le fauteuil dans ces foutus escaliers. 

    Ainsi, les ambulanciers en ont bavé. Contraints de venir à deux lors des périodes particulièrement sombres, ils privilégièrent rapidement l’ambulance, le vsl n’étant plus adapté. Ce fut d’autant plus nécessaire qu’aux pires heures, ils en virent au brancard. J’ai tout subi sans broncher m’inquiétant plus d’eux en voyant leur précaution, leurs difficultés dans les virages et coins forcément étroits. Sous la pluie, la neige, dans le froid et le vent, ils me portaient, me transportaient, me transféraient, du lit au fauteuil, du fauteuil au brancard craignant de glisser sur le marbre mouillé ou gelé, de lâcher, de me voir tomber, bloquant les roues, tenant fermement les poignées, rattrapant fauteuil et brancard s’échappant sur la route étroite, pentue et fréquentée de camions et voitures incessamment. De temps en temps, SeN et son père  me portèrent, pour les fêtes par exemple. De ce fait, autant le dire, la maison devint rapidement une prison concrètement.

     Ma vue étant très basse, les fenêtres n’étaient que des flux de lumière souvent pénibles puisque je ne supportais plus les lumières vives, claires et directes. Je n’avais donc pas la possibilité de regarder le monde à travers les vitres. Avec cela, le village est isolé, enclavé, je n’avais quasiment pas de visite.

    Grâce aux traitements et à l’âpre rééducation, je pus marcher avec un déambulateur début avril, laborieusement. Nous plaisantâmes avec quelques amis en visite de l’éventuelle coïncidence d’une reprise de la marche pour les fêtes de Pâques et ce fut effectivement le cas avec des béquilles. Bien que vacillante, tremblante, mal assurée, je m’entrainais constamment.

     Ce jour- là, le soleil brillait et mon garçon était dehors, il m’appelait afin que je regardasse ses activités. J’étais gênée par la lumière vive, je lui répétais que je ne voyais que très peu et que seuls les bruits pouvaient m’aider à sentir ce qu’il se passait. Pourtant, mes yeux furent attirés par une tâche de couleur et j’interrogeai mon fiston qui confirma mon intuition : des fleurs étaient sorties de terre là où j’avais planté quelques années auparavant des bulbes. Je roulai vers la porte d’entrée et armée de mes béquilles, envers et contre tout conseil de prudence, j’entrepris de descendre les escaliers. Péniblement, j’arrivai à la pelouse et titubai jusqu’à mes plantations. Epuisée, je me coulai sur le sol et me roulai de joie au contact des herbes, des tiges et fleurs. J’embrassai la terre et ses fruits, plongeai mon nez dans le persil, le serpolet, le thym, tout, TOUT ce qui se présentait à moi. Je me baignais de soleil, je soupirai d’aise, mon fiston riait entre joie et surprise. Le parasol fut installé ainsi qu’une couverture et je restai allongée à rouler d’un coin à l’autre pendant plusieurs minutes. Je passai outre les réflexions d’un certain qui ne comprenait pas, qui jugeait mon attitude incongrue et salissante seulement à ses inquiétudes et son absence de contrôle sur mon attitude. D’ailleurs, je ne me souviens plus de ce qui a été dit ou fait, ni des caprices de ma vessie, ni de l’habituelle circulation routière bruyante et malodorante, je garde uniquement le souvenir d’un instant divin au plaisir infini dans une totale fusion avec la nature environnante.

    Je rentrai laborieusement, péniblement, titubant maladroitement sur la pelouse irrégulière et dans les escaliers pendant que d’autres rangeaient le matériel qui avait été installés peut- être bien parce que ma vessie devint pressante, à moins que l’air et le sol ne se fussent rafraichis. Joyeusement, mon nez était plein de ces odeurs d’herbes et de fleurs, mes oreilles du bourdonnement des bestioles, ma peau des sensations douces, rugueuses molles ou friables des végétaux, pétales, terres, cailloux. J’avais rempli mon corps et mon âme de ce qui m’avait tant manqué tous ces mois d’enfermement et de médicalisation. J’avais gagné une nouvelle bataille particulièrement importante à mes yeux car ce jardin avait été lui aussi le théâtre d’une guerre de tranchée relationnelle. Mon obstination à vouloir l’aménager, le rendre vivant dès mon arrivée dans cette maison prenait tout son sens, résonnait profondément en moi. Cette sortie incongrue fut un magnifique pied de nez narquois à tous ces esprits chagrin prisonniers de leurs angoisses.

    Le printemps est véritablement ma saison préférée, c’est la saison de la re-naissance.

     

     

     

     

    Voyez- vous, en écoutant cette chanson tout en relisant cet article, ben.. je pleure. 


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