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    De nombreuses études ont montré l’efficacité du Cellcept dans le traitement de la maladie de Devic. Immunosuppresseur, chimiothérapie en comprimé, anti- rejet sont quelques unes des dénominations que je lui ai trouvées. Ce médicament ne peut être prescrit que par un spécialiste, il s’accompagne d’un suivi sérieux entre visites régulières et prises de sang pour surveiller la vie des globules (NFS). D’emblée, c’est du costaud.

    Evidement, la liste des effets secondaires est particulièrement longue. Ont déjà été évoqués ici, en filigramme, la fatigue, les migraines, les risques accrus d’infection (urinaires en ce qui me concerne), aujourd’hui, en ces heures printanières viennent les bourgeons et vents.

     

    Ma peau est fine, blanche, quasi- transparente. Fragile, j’ai souffert longtemps d’ampoules monumentales au point qu’il fallut, par exemple, couper mes bottes lors d’une promenade pour que je pusse continuer la marche, me dispenser de sport le temps que l’ampoule DANS l’ampoule cicatrisât, souffrir en canoë pour continuer de ramer seule au milieu d’un lac en Russie. Blanche à rares taches de rousseur, j’ai été brûlée au deuxième degré par le soleil dans l’indifférence des adultes présents. Jusqu’à ce que je prisse la situation en main, j’ai ainsi pâti de leur minimisation de ma fragilité.

    Cet hiver, la peau de mon visage a commencé à rougir, se gondoler, se squamer. J’y vis l’effet conjugué du calcaire et du froid auquel j’ai été confrontée précédemment. Je choisis un savon plus doux, me tartinai le visage de crèmes nourrissantes, d’huile de germe de blé. En vain. Les jours s’écoulèrent, les rougeurs s’étalaient, se multipliaient. Aux premières heures du printemps, ce fut l’explosion de bourgeons ou fleurs, à votre guise. Le zinc n’y changea rien, l’aloès calma vaguement. 

    Au hasard de mes déambulations virtuelles, un article de Pandora titilla ma curiosité ; elle évoquait les effets secondaires des immunosuppresseurs, les risques de cancer multipliés par l’anarchie possible des cellules malmenées par ce type de traitement. Dans la foulée, je jetai un œil sur la notice du Cellcept. A demi- surprise, j’y découvris un nouvel avertissement ajouté depuis ma précédente lecture : risque élevé de cancer de la peau, interdiction de se mettre au soleil ou exclusivement avec une forte protection. Génial ! Avec mes coups de soleil répétés dans l’enfance, me voilà bien lotie. Du coup, j’en profitai pour parcourir toute la liste et lis des sous- parties qui m’avaient échappées précédemment : « Troubles de la peau : acné, herpès labial, zona, augmentation de la croissance des cellules de la peau, chute des cheveux, rash, prurit (démangeaisons) ». Bingo ! Il est important de prendre encore plus soin de moi. Suivent les troubles urinaires allégrement expérimentés dans mon cas… et les troubles digestifs qui me ramènent aux vents.

     

    Huit mois de chimiothérapie en intra- veineuse, quasi trois ans de Cellcept à raison de 1500 mg par jour n’ont guère épargné mon système digestif. Colette, généraliste homéopathe travaille en oncologie, elle connait les traitements et leurs effets, aussi, très vite, j’eus des traitements d’accompagnement afin d’éviter des désagréments invasifs. Régulièrement, je fais des cures de Desmodium, herbe protectrice du foie ô combien malmené en pareilles circonstances, je prends des granules en fonction de l’état variable de ma tuyauterie, je fais des lavements, des irrigations coloniques, je tâtonne dans l’alimentation au gré des circonstances et… je pète.

    Véritable baromètre de mes états intérieurs, ce phénomène bruyant, incontrôlable, heureusement inodore est complètement aléatoire. Avec mon fiston, nous en avons d’abord ri, évaluant les sonorités, fréquences, durées. Il en profitait joyeusement pour entrer en compétition à la moindre occasion. Nous nous interpellions des noms des personnages de La soupe au choux (Louis de Funès, le Glaude et Jean Carmet, le Bombé pétant sous les étoiles un soir d’orage attirent un extra terrestre, la Denrée, Jacques Villeret). Chez nous, tranquillement, cela ne prête pas à conséquence. Jusqu’à notre premier séjour chez Mariev. Au retour, nous nous étonnâmes de l’absence des vents bruyants durant plusieurs jours. A peine retournai- je dans cette foutue maison que la fanfare repartit de plus belle. « Tiens donc ». En septembre 2009, je quittai l’ambiance délétère de ce lieu pour me retrouver avec mon fiston dans l’appartement camping en travaux. Incroyable ! Plus d’une semaine passa sans un bruit ! Y aurait- il un sens à ce phénomène ? Effectivement, depuis le déménagement, les vents se sont calmés. Sporadiquement, ils reviennent inopinément. Quand je suis contrariée ? Quand je n’ai pas digéré quelque chose ?

    Il m’arrive de sentir travailler le maître des vents (médecine chinoise) ; en public, j’essaie de me mettre à l’écart, de m’éloigner non par gêne- parce que je n’y peux rien- mais parce que je n’ai pas envie d’expliquer. Pourtant, certains m’échappent comme celui au travail alors que je donnais des copies à un stagiaire. Forcément, il s’immisça  dans l’échange à grand bruit subitement. Je m’excusai évoquant les médicaments, il ne s’en offusqua pas  mais franchement, j’étais fâchée de cette intrusion malvenue. Il y a peu, le maître des vents était si occupé à me tourmenter que je pris les devants. Je faisais passer des oraux, en tête à tête dans un tout petit bureau. Impossible de me planquer ou de couvrir le bruit donc, j’annonçai en préambule les vents incontrôlables et imprévisibles qui pouvaient survenir. Avec humour, simplicité, cela passa tranquillement ; bien que déroutés par ma franchise directe, supérieure, collègue, stagiaires furent tous très compréhensifs. Et puis, après tout, nous pétons tous (15 fois par jour en moyenne pour les femmes, plus pour les hommes), pourquoi rentrerai- je dans des complications ?

     Maintenant, j’en reviens à Elodie : après une dégringolade physique, nous revivons les étapes du développement humain disait- elle; j’ai été maternée à l’hôpital, j’ai réappris à m’asseoir, me mettre debout, marcher, mon champ visuel grandit au fil des récupérations, j’ai repris possession de ma vie et de ma liberté. Ne serai- je pas dans la phase adolescente ? Au regard du bazar de la maison, j’y baigne joyeusement…

    Boutade en pied de nez, ironiquement parce que finalement, que je bourgeonne et pète est le signe que je suis VIVANTE !  M’apitoyer ou me mettre en colère ne servira à rien. Que cela passe son temps, ma tête est ailleurs et je préfère en rire. Je mérite mieux que du dénigrement ou de la culpabilité parce qu’avant toute chose, il y a la vie et tous les cadeaux qu’elle offre.

     


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  • Avril- mai 2007

     Après les chandeliers, je voulus expérimenter une nouvelle technique : le shabby chic. Il s’agit de frotter avec une bougie ou du savon de Marseille un support en bois brut peint ou non, de repeindre par-dessus puis de frotter avec de la laine d’acier ou un papier de verre. Par ce procédé, l’objet prend un aspect vieilli et usé qui me paraissait intéressant.

    Premier essai sur une petite commode à suspendre.

    Déjà vernie, j’eus la paresse de la décaper et la ponçai mollement espérant obtenir un résultat correct à moindre effort. Ce fut une catastrophe. L’incompatibilité évidente avec le vernis acrylique acheva l’expérience et je reléguai le tout dans un coin du bazar.

    Nouvel essai sur un pot à crayon.

    Il était en bois brut, ouf. Par un grand mystère de l’inspiration, je le fis en vieux rose. J’y peignis en expérience également des motifs vénitiens XVIIIe siècle, fleurs et oiseaux, me fiant  à des modèles photocopiés des années auparavant. Mouai… Le résultat ne me satisfit guère, il manquait de personnalité. J’étais prête à tout recommencer d’une main rageuse quand un autre y trouva son compte et je lui donnai.

     

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      Frustrée par ces tentatives peu probantes à mes exigences, je farfouillais la maison en quête d’une autre aventure quand subitement, dans l’aveuglement physique de ces mois cruels, j’eus une étincelle.

     

    Au fond d’un tiroir plein à craquer (renforcé par mes soins depuis belle lurette, évidemment), je cherchai une grande toile de jute achetée presque vingt ans auparavant. A l’origine, elle était prévue pour être agrémentée de laines et fils passant au travers et habiller ainsi le verso de boucles. J’avais commencé après l’achat et abandonné rapidement devant l’immensité de la tâche principalement de la recherche des laines aux couleurs adaptées. En outre, la technique ne me semblait pas solide, le risque de voir les laines se détacher rapidement après un long travail ne m’enchantait pas. Je l’avais négligée des années au cours desquelles je fus tiraillée entre agacement et défi en la redécouvrant au hasard des farfouillages dans les tiroirs : « Un jour, je trouverai une solution ! ».  Bloom, j’y étais ENFIN : j’allais la peindre à l’acrylique !

    La barrière limitative du choix des couleurs était vaincue ; entre les bases et les mélanges s’offraient des possibilités infinies. Ni une ni deux, je commençai par étaler la toile sur le sol de mon atelier afin d’en avoir une idée générale.

    Le motif de base était une vague représentation égyptienne antique, un homme et une femme échangeant des plantes sur un fond quasi vide. Dans un souci d’authenticité, je me plongeai derechef  dans un de mes livres d’histoire de l’art consacré à ce thème. Triomphante, je trouvai entre ses pages l’origine de ce grossier dessin : Toutânkhamon offrant des fleurs à sa jeune épouse. Super! J’avais glissé là cette photocopie lors de mes années d’université avec certainement l’idée de m’en inspirer plus tard et je l’avais oubliée. Aussitôt, je remplis, affinais les tracés de la toile de jute à partir de cette inespérée trouvaille et étudiai les couleurs sur les pages imprimées du livre. Verts, orange, jaunes et bleus se structurèrent spontanément d’autant que la couleur de la toile nécessitait des choix en harmonie avec elle également. Je jonglais au fur et à mesure des coups de pinceaux entre les couleurs de base vives et des mélanges pris au hasard. Je me suis notamment régalée à nuancer la couleur des peaux, le blanc rosé des fleurs, les dégradés de vert sur les feuillages, les subtilités des tissus, en particulier celui de la femme que j’avais transformé, la robe d’origine étant trop maladroite à mon goût. J’investis le décor en opulence pareille à celle de la boite à chocolat ; je les entourais, les habillais, les maquillais, leur donnais des teintes vives. Mon garçon s’y pencha également, curieux de la gymnastique et de la concentration que me demandait cette tâche ; ce fut lui qui me fournit le tube de peinture dorée en relief  dont j’ignore complètement l’origine.

    Dernièrement, il me surprit, trois ans après, en évoquant les deux femmes au bas du tableau : celle de droite est maquillée, parce que de meilleure naissance que celle de gauche, simple paysanne.  L’épisode l’a marqué, véritablement.

     

     En ces mois du printemps 2007, j’étais en fauteuil roulant. Les perfusions de mitoxantrone portaient leurs fruits et il m’était aisé d’effectuer les transferts seule. Je ne tombais  ni ne glissais plus, il m’arrivait régulièrement de me laisser aller sur le sol et d’y évoluer à quatre pattes, maladroitement tel un quadrupède nouveau- né, ne craignant surtout plus de ne pouvoir remonter. Certes, ce n’était pas facile, j’y mettais concentration, volonté et force, repoussant mes limites à leur extrémité, perpétuellement en test de mes capacités reconquises ou à conquérir. En l’occurrence, cette toile fut peinte de la sorte, sur trois pattes ma main étant occupée à  poser les couleurs entre traits, remplissages et mélange. Ma mémoire garde le souvenir des douleurs dans le dos, les bras, les jambes, les fourmis grouillant sur les appuis et les articulations ; elles ne m’arrêtaient pas, je pensais uniquement à mon objectif. Je faisais des pauses, étirais mes membres, remontais dans le fauteuil pour renouveler l’eau du pot, nettoyer ma palette, mes pinceaux, prendre du recul, écouter le corps et lâcher bénéfiquement l’attention.

    Je garde également en mémoire l’agacement qui fut mien devant les remarques régulières sur les débordements éventuels de mes peintures à travers la toile malgré mes journaux au sol. Pestant parfois, ignorant souvent, je fis obstinément la sourde oreille.

     

    Etrangement, alors que je ne voyais que très mal, les souvenirs visuels sont précis, lumineux. La grandeur de la toile (110x146) était à l’échelle de mes capacités ; habituellement occupée aux minutieuses précisions des pinceaux fermes et souples, je découvrais par la force des événements le plaisir du travail en grande surface avec des brosses larges et épaisses, drues pour pénétrer suffisamment les fibres de jute.

    SeN fit un cadre où je tendis la toile au mieux  et dorénavant, je lui cherche une place d’honneur où que je vive parce que je suis fière de ce barbouillage à grande échelle. J’ai beaucoup appris grâce à cet ouvrage, il parle de moi en cet instant, de ce que j’ai fait de mes faibles moyens, de mon tempérament, de ma lutte permanente à profiter pleinement de ce que la vie offre furtivement. Envers et contre tout.

     

    acrylique sur jute printemps 2007


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  • Ce matin, je me suis réveillée vers six heures et demie, désorientée. Il faisait jour, je n’avais aucun souvenir d’un lever durant la nuit simplement celui d’un endormissement laborieux vers minuit et demi, aucune fuite, pas même une goutte. Je me levai, pris mes granules, étonnée de ne pas subir d’impériosité. Après un petit tour aux toilettes par précaution, je retournai me coucher, allumai la radio pour écouter les informations, somnolai plus avant dans la matinée en tâchant plus ou moins de me souvenir de cette dernière nuit, perturbée par l’absence de lever. Inhabituellement, j’avais dormi six heures d’affilée.

    Je retrouvai la veille totale vers neuf heures vingt le corps et l’esprit embrumés, les idées pourtant claires devant le paradoxe qui se révélait. Si j’avais dormi d’une traite, c’était simplement parce que j’étais très fatiguée de la nuit précédente, j’en avais rattrapé les levers incessants épuisants. L’explication aux mouvements de cette dernière ? J’avais bu dans la soirée une tisane « nuit tranquille ».

    En effet, la tension était vive ce soir-là et j’avais cherché la détente  avec elle afin de ne pas sombrer dans la violence. Le résultat fut inévitable : pipis volumineux à 22h30, à 00h30, à 2h20, à 5h30, à 7h30. Dans l’état de demi sommeil qui est le mien en ces circonstances, j’effectue les gestes automatiquement, les yeux fermés souvent, dormant parfois en micro plage assise sur la cuvette ; je ne me pose pas de questions, je vis primitivement l’agacement du manque de sommeil tranquille et entier. Ce fut au matin que je me souvins de la tisane du soir. Avant la maladie, c’était un plaisir quotidien, avec la maladie, cela se révélait majoritairement malheureux. Pour une tasse ingérée, j’évacue des quantités de liquide incroyables ! Comme avec ce litre et demi de pot au feu, la tisane « nuit tranquille » avait haché ma nuit de levers incessants.

     Je tins la journée tranquillement et pétai une durite le soir devant les jeux vidéos du fiston, exténuée. Inconsidérément, dans ces circonstances, je ne trouve rien de mieux que de traîner plus longtemps, me couchant tard ou tournant dans le lit trop fatiguée pour dormir.  Je m’étais donc couchée vers minuit… et je dormis jusqu’au matin, à 6h20.


    Combien de temps ma tête de Carabosse se souviendra t-elle que les tisanes  « Nuit tranquille » (ou non)  m’empêchent de dormir ? se-gratte-la-t-te.gif


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  • Ma vue était très basse, j’avais énormément de difficultés à différencier les couleurs, les contrastes faibles m’échappaient totalement, la télévision était devenue logiquement un spectacle exclusivement sonore d’autant que les lumières vives m’incommodaient. Je lui accorde peu de place depuis très longtemps hormis des programmes ciblés, choisis à l’avance, aussi, me fut-il aisé de l’oublier en ces heures d’aveuglement.

     

    Alors que j’’étais occupée à quelques babioles, mon fiston fut pris d’une envie subite de regarder un film avec moi. Malgré mon peu  d’enthousiasme, il mit la cassette de l’âge de glace dans la petite télé portative du travail. Je ne vis absolument rien d’autre qu’une lumière blanche criarde. Fiston n’avait guère besoin de décrire, je le connaissais pour l’avoir vu avant la perte de la vue. Mon attention ne se porta vaguement que sur les sons et les voix ; ce ne fut pas réellement une partie de plaisir et je le lui dis, simplement.

    Plus tard, il reçut le coffret Kirikou dont nous ne connaissions pas  le deuxième volet, celui avec les bêtes sauvages ; évidemment, tout excité, il voulut le regarder avec moi, là dans la foulée. Je ne dis rien, laissant la place à son enthousiasme, détachée d’emblée à l’idée de n’en rien voir. Il chercha un lecteur dans le salon, installa le tout non loin de moi, expliquant ce qu’il faisait ou voulait que sais-je ? ( Quand il commence, il tourne à haut débit)  Ma tête était ailleurs, je l’entendais farfouiller dans le menu du disque avec la télécommande détaillant son processus :

    «  Bon, attends … Choix des langues… Humm, voilà, c’est bon… Maman, j’ai mis la version en audio vision comme ça tu pourras en profiter. »

    C’était tellement naturel, j’en restai ébahie : comment ce petit bonhomme d’à peine 10 ans avait- il pu de lui- même prendre pareille initiative quand tant d’adultes alentour fuyaient mes handicaps ?  Mon cœur et mon âme en furent inondés de reconnaissance. Quelle délectation de suivre l’évolution des personnages guidée par la voix du narrateur décrivant les situations ! Nous  pûmes rire, discuter de certains passages ensemble, le partage fut complet, c’était magique ; à aucun moment il ne se plaignit du supplément de voix. En outre, quand ma vue le permit, je le visionnai ultérieurement, enchantée de constater que je vivais l’aventure pareillement, qu’il fut écouté ou regardé.

     Enthousiasmés par cette expérience, nous voulûmes en regarder d’autres, au gré des envies et circonstances. Stupéfaits, nous découvrîmes que cette option était rare ; la frustration se répéta à plusieurs reprises. Je ne me souviens finalement que de Kirikou et d’Un long dimanche de fiançailles de Genet où le charme opéra à l’identique. Me vinrent des questions qui, par leur simple formulation, sont agaçantes :

    Pourquoi les audio- visions ne sont-elles pas sur tous les dvd ?

    Qu’existe-t-il dans les cinémas et spectacles pour les déficients visuels ?

     

    Je farfouillai sur la toile les lieux culturels accessibles aux personnes handicapées, les possibilités offertes selon les handicaps… et fus agacée par la petitesse des activités concrètes proposées. Il règne une hypocrisie généralisée autour du handicap, c’est évident cependant, ce qui m’agace le plus, c’est le déni. Le déni de ceux qui,  confrontés à leurs peurs enferment leur proche malade ou handicapé dans leurs impossibilités. Parce qu’ils ne peuvent supporter l’idée de perdre leurs propres fonctions, ils fuient devant l’adversité, les bras ballants, incapables seulement de chercher des solutions concrètes. Ils n’ont de place que pour eux- mêmes. Pourquoi faire ? Comment faire ? Il n’y a pas de solutions pour ceux- là. En ce qui me concerne, j’ai été confrontée à ces blocages longuement, durement.

    Dans la souffrance physique et la perte de mon autonomie, je me suis retrouvée prisonnière, otage des peurs des autres. S’ils souffraient psychiquement, je souffrais et physiquement et moralement. Tant que je ne voyais pas d’issue à ma chute inexorable, je supportais en silence ces épreuves, ma disparition rapide en solution radicale aux désagréments engendrés par mon état. Pourquoi faire de lourds aménagements pour améliorer ma courte fin de vie ? Cela n’avait pas de sens à mes yeux en ces instants.  « Souffrir et mourir, pfuit, tout s’effacera plus vite pour eux ». Quand les traitements me permirent d’envisager l’avenir, quand je mesurai les bienfaits d’une prise en charge adaptée grâce à mon séjour à l’hôpital, vinrent  la colère et la révolte. Je repris possession de mon quotidien, luttai pour retrouver mon autonomie, je ne voyais nulle autre alternative que de lutter en moi pour dépasser les frontières imposées par les autres. Puisqu’il leur était impossible de se bouger, je me bougeai moi. J’ai pourtant de la chance, les traitements permettent de contenir la maladie, je récupère mes fonctions, peu à peu, plus ou moins. Quel calvaire vivent ceux qui n’ont pas ces possibilités ? Qu’advient –il d’eux quand l’entourage fuit et dénie?

    Dans de telles situations, l’handicap ne se double t-il pas du handicap des autres ? Refuser les adaptations, les aménagements ne sont- il pas des maltraitances sournoises, insidieuses par ignorance, négligence, négation des besoins de l’autre malade et/ou handicapé ?

     

    Il est certain que dorénavant, tant que je le pourrai, je ne tairai plus mes besoins, je demanderai à ce qu’ils soient entendus et reconnus. Les souffrances de la maladie sont amplement suffisantes, je n’ai pas à y ajouter celles issues des peurs, angoisses d’autres.  En tout cas, je suis ravie d’avoir un garçon qui m’a permis de partager Kirikou et les bêtes sauvages malgré mes incapacités physiques. Ce sale gosse s’adapte, mobilise son empathie  naïvement, spontanément, naturellement. Grâce à lui, j’ai vécu une expérience enrichissante qui, à son récit, en prime, aujourd’hui,  me permet de comprendre énormément d’impressions vagues qui me dérangeaient depuis des années.  

    Merci mon bonhomme.

     



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  • Mars- avril 2007

    Parcourant le rez- de- chaussée de la maison en fauteuil roulant, plus autonome chaque semaine, je cherchais du bout des doigts la multitude des  objets accumulés avant la maladie en vue de projets créatifs. Je farfouillais au fond des tiroirs, de l’armoire de l’atelier du moins les espaces à ma portée, réclamant ceux qui se trouvaient inaccessibles à cet instant. Je me souviens parfaitement de l’énergie   qui me portait, j’avais une boulimie de création.

    Avant, l’envie était là, les idées grouillaient dans ma tête, le temps me manquait, grignoté qu’il était par les activités quotidiennes et le retard s’accumulait. Là, malgré les handicaps moteurs et la vue très basse (pour rappel, de 12 à chaque œil, j’étais passée à 1 et 3 en moins d’une semaine- cf. ici), je pressentais que j’avais l’opportunité de me consacrer entièrement à ces activités pendant mon traitement, ma rééducation, ma convalescence ; je pressentais que ce temps ne durerait pas. Aussi, je m’y lançai frénétiquement testant continuellement mes capacités, mesurant au fil des ouvrages l’évolution de mon état.

    J’ai peint cette belle boite à chocolat déjà présentée () ; au départ, le dessin originel était désertique, gris et vide. Mue par la force de vie qui rejaillissait en moi, portée par l’amour reçu aux heures noires de la maladie, je passai de ce triste modèle à l’explosion multicolore et riche de la peinture finale.

    Pendant qu’une couche séchait là, je ponçais et peignais sur d’autres supports. Je fis ces fruits déjà montrés.

     

                      PICT1024.jpg

     

    Suivirent les chandeliers.

    Achetés en bois bruts, leur forme  m’évoqua une tulipe ; je décidai de sortir des simples colorations et décorations habituelles. Je peignis les fonds unis afin de simuler quelque vase à la base, la corolle à l’autre extrémité. Quand ils furent secs, j’intensifiai le noir, ombrais la fleur pour jouer des lumières. A l’évocation d’un feuillage, je trempai mon pinceau dans des mélanges de verts, foncés, clairs, du blanc successivement puis le laissai glisser dans des mouvements arrondis, comptant sur le hasard pour le mélange des nuances.

     

    A la lumière du printemps.

     

     Ce ne fut guère aisé, le nez collé sur le support, à la lumière artificielle de préférence tamisée. Pourtant, j’avoue en être satisfaite sachant évidemment que ce n’est pas du grand art. Les limites d’une couleur à l’autre sont nettes, il n’y a pas de débordement ou de gribouillis. J’avais joué sur les numéros des pinceaux privilégiant les poils de martre plus fermes et souples ; ce fut payant. Le souci vient de ce que certaines bougies coulent. J’en fus contrariée à leur première utilisation ; grattant la cire, je craignais d’abimer le décor. Il me reste à trouver un système ingénieux pour les protéger.  


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  • Portée par un instinct, une force de vie venue de mon creux, je me suis lancée, au retour de l’hôpital, en 2007, dans une frénésie créative dont les résultats aujourd’hui me laissent pantoise. Je supportais la chimiothérapie, les transports incessants, l’enfermement et l’isolement dans cette maison, percluse dans les conflits incessants, je luttais âprement pour retrouver la marche, j’étais très mal voyante, comment ai-je pu produire toutes ces choses ?

    J’avais commencé à l’évoquer ici et puis bousculée dans mes projets de publication, le fil s’est perdu ; j’y reviens en balance des derniers textes mortifères.

    La galerie des productions improbables repart. Heureusement que je tiens un cahier de mes créations pour m’y retrouver! En avant ! En avant !

    Mars 2007, j’ai tricoté un béret pour mon amie Sandrine des Vosges, en aveugle ; malheureusement, je ne peux vous montrer de photo car je n’en ai pas ; je le lui ai envoyé avant d’avoir l’appareil, tant pis. Un jour peut-être. Il est gris avec un colimaçon lie- de- vin, elle en fut ravie.

    Dans la même période, j’ai encadré des idéogrammes chinois peints avant d’être malade. Cette tâche en son temps m’avait demandé une grande concentration, des essais répétés. La calligraphie chinoise est un art difficile d’autant qu’il s’agit d’utiliser des pinceaux spécifiques tenus d’une façon particulière peu coutumière dans notre culture. Entre traits vifs et appuis différents, j’ai usé plusieurs feuilles de papier de riz avant de trouver un équilibre suffisant à mes yeux de néophyte. Estimant que mes trois plus belles réussites méritaient mieux que de traîner au fond d’un tiroir, je m’attelai à les encadrer au mieux. Du bout de mes doigts, je choisis les papiers, reportant certains choix de couleurs à la nuit quand mes yeux m’empêchaient d’en juger véritablement à la lumière du jour.  Rouge, argent, noir. Découpage minutieux au cutter ; c’est plus compliqué que cela n’en a l’air surtout que je n’y voyais rien. Finalement, le plus difficile a été de trouver des cadres adaptés à mon idée.

    Je les ai laissés dans la maison, ils me manquent affreusement…

    Beaucoup ne mesurent guère l’effort fourni pour arriver à un résultat ; il y a tellement de babioles à bas coût dans tous les magasins fabriqués en série, à la machine, à la chaîne...

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  •  Je lus ce livre avant Derniers fragments d’un long voyage évoqué ici mais la publication de cet article n’avait de sens à mes yeux qu’après le récit de mes effroyables découvertes sur ma relation à SeN. Michel en ADELO m’avait parlé d’elle pour la première fois et noté ce titre sur un bout de papier. J’avais accroché immédiatement. La raison en est évidente, clairement. Et alors ?

    Je précise qu’elle l’a écrit bien avant la maladie, bien avant l’imminence fatale d’une mort certaine.

     Difficile de trouver les mots pour en parler.

    Il règne dans cette œuvre une poésie, une délicatesse de vue sur les petits riens de la vie révélateurs de ce qu’il y a de plus profond en l’humain. La langue n’est pas banale, parsemée de joyaux de vocabulaire et de structures. Une finesse et une douce merveille, ode à la vie et à ses trésors. Œuvre d’une rare beauté.

     Etre vivant, c’est s’engager. S’engager c’est rendre hommage à la vie, le minimum que l’on puisse lui rendre pour le cadeau fantastique et improbable qu’elle nous fait d’être là. Savourer chaque seconde de l’instant présent et braver les stéréotypes stériles et sans issue de la bonne pensée de ceux qui ont peur. Les mondes personnels qui se croisent et se décroisent. Tenter d’aller vers l’autre pour ne pas passer à côté de sa beauté, de la sienne, de la nôtre. Accepter le changement, élément inhérent à la vie. Prendre conscience de soi, de sa valeur, car  rien en ce monde n’en aura si nous ne voyons pas la nôtre, intime et profonde.   Voilà ce que j’en ai retenu.

    Petit livre de 120 pages en poche, comme celui de Michel Serre, il se lit, se relit, se réfléchit, nourrit et  éveille l’âme.

    Vivre, exister et être

    Pleinement

     Entre Elodie et les merveilles transmises par l’intermédiaire de Michel, n’aurai- je pas trouvé le sens de ma/la vie ?

    Quand les livres lus parlent de soi… Vous vous souvenez ? 


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  •  A défaut d’être né.

     En octobre 2008, j’eus une entrevue avec Jérôme de Sèze dans le cadre de son protocole de recherche sur la maladie de Devic auquel je participe (cf. article A propos de la recherche).

    J’en profitai pour lui poser quelques questions, perpétuellement taraudée par la question de l’enfant.

    -      Le traitement est- il à vie ?

    -      Cellcept est à prendre tant qu’une autre molécule ne prouve pas son efficacité. Néanmoins, la recherche avance tellement vite que de nouveaux traitements arriveront certainement rapidement.

    -      Est- ce que vous pensez sérieusement que je pourrai encore avoir un enfant dans ce cas ?

    -      D’abord, il est impératif d’attendre deux ans  après la crise, de suivre l’évolution et passer les traitements.

     Comme je le regardais, buvant ses paroles, il comprit que le sujet était important ; j’étais en quête de réponses face à mes peurs et doutes, il enchaina, rassurant, volontaire.

    -      Si c’est important à vos yeux, nous le ferons avec vous, moi, votre spécialiste. Nous serons là pour vous accompagner. Certes, un risque de reprise existe mais nous savons y faire face, nous avons la batterie thérapeutique nécessaire. De toute façon, nombreuses de mes patientes ont eu des enfants sans problème.

    Ouf ! J’avais une réponse claire et positive qui plus est ! Autant dire que j’étais comblée.

     

    Je répétai ces paroles de retour à la maison mesurant toutefois combien la distance avec SeN était consommée, je ne trouvais pas l’attention désirée. Malgré ce triste constat, je ne perdis pas la joie offerte par cette possibilité, elle m’habitait telle un défi, un pied de nez à toutes les horreurs que j’avais entendues de sa part.

    Me reste la quiétude d’avoir mobilisé toute mon énergie pour ce projet, j’aurai tenté tout ce qu’il m’était possible, je n’ai aucune lâcheté ou peur à me reprocher.

    Peut être un homme sera là, prêt à nous accepter, mon fils et moi, tels que nous sommes, avec nos valises de vies cabossées, prêt à construire une vie avec nous, en pleine conscience. Prêt à plonger dans la vie pour prendre le pari d’avoir un autre enfant, porteur de l’espoir en l’avenir, l’avenir de cet enfant,  celui de mon fils, le sien, le mien, le nôtre.

    Peut- être pas.

     Advienne que pourra. Désormais, je lâche prise. Je vis ici et maintenant.


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  • Venue d’une source inconnue, je sais que ce travail prend de quelques mois à deux ans. Au-delà, il y a danger et nécessité de se soigner. Voici les possibilités que je me suis offertes pour dépasser la douleur de l’enfant mort-conçu en 2008.

     

    Au retour de l’hôpital, après avoir entendu une émission à ce sujet sur France Inter, je pris la décision de parrainer un enfant avec SOS enfants sans frontière. J’eus la joie de faire la connaissance d’Elda, petite haïtienne, mignonne à croquer. Je reçois des dessins, des photos où je la vois grandir. Je ne la rencontrerai probablement jamais, nous ne nous parlerons même pas, je suis pourtant heureuse de lui apporter un petit soutien en lui permettant d’aller à l’école où elle reçoit en plus de l’instruction, quelques vêtements et un repas digne de ce nom. C’est une forme de transmission de vie, non ?

    Je pense aussi que, si les circonstances s’y prêtent, je tenterai d’adopter. Qu’il soit déjà grand sera un réconfort sur le temps perdu, la tâche de surmonter les épreuves qui l’ont mené à être adopté ne seront qu’un défi que je me sens prête à relever. Car là aussi, il est question de transmettre la vie. Avec ou sans lui, avec ou sans homme.

    Un matin, je me suis surprise au réveil avec un soulagement au cœur : je n’aurai plus d’enfant mais l’avenir s’ouvre à travers les petits-enfants. Nombreux sont ceux qui ont des petits vers 35 ans, moi, dans quinze ans, je pourrais être grand-mère. J’utilise un conditionnel à bon escient car je ne charge pas mon unique garçon de compenser mes manques. S’il m’offre cette joie, j’aurai l’immensité de mon cœur à donner. Et là, je transmettrai tant et tant. S’il n’y en a pas, ce ne sera pas un drame car je sais désormais que la transmission, essentielle dans la vie humaine n’a pas de chemin pré établi.

    Je suis prête à me défaire du matériel dormant dans la cave ou le grenier, des vêtements sans histoire. Parce que leur sommeil évoque l’inertie, l’impasse, la mort. Ces choses ont besoin de circuler et d’aller dans la vie jusqu’à leur fin ultime. Pour vivre, d’autres enfants  les animeront et c’est avec grand bonheur que je vois certaines choses données vivre avec ceux qui les portent. La vie est là. Transmettre. Les affaires à histoire resteront près de moi en attendant d’éventuels petits- enfants, réels ou symboliques et je leur raconterai ce qu’ils représentent, ce qu’ils portent de l’histoire familiale. Transmettre.

    Je pense que le cheminement est entamé, douloureusement, en avant, en arrière, sur le côté.

     

    Avec notre enfant jamais né s’enterre un pan entier  de mes fonctionnements psychiques anciens dont la relation à lui n’est qu’une énième répétition. Il refuse de l’admettre, il refuse d’en parler, il refuse d’y travailler, il reste figé dans sa souffrance. Parfois, il tremble à l’idée qu’il n’aura jamais d’enfant. Il peut en avoir s’il se prend en main et le petit de sa sœur porte tous les espoirs de sa famille bien qu’ils s’en défendent tous le plus sincèrement du monde. Je ne cherche plus à échanger sur ce sujet car il n’a pour seule réponse que ces mots « Je ne suis pas responsable de tout » qui me renvoient incessamment à la scène des liaisons dangereuses de Stefen Frears : Valmont (John Malkowitz) quitte la femme qu’il aime sincèrement, Mme de Tourvelle (Michelle Pfeiffer), la torturant verbalement et physiquement quand elle le supplie de s’expliquer, de ne pas l’abandonner. Il répétait inlassablement « Ce n’est pas ma faute » selon les consignes de Mme de Merteuil (Glenn  Close)  pour  lui prouver qu’il peut se détacher d’elle, rester le libertin qu’il a été toute sa vie. Complètement manipulé, il fait son malheur, détruit ce qu’il a le plus aimé dans sa vie.

     

     IL dit responsabilité au sens de faute quand je ne parle que de responsabilité. Oui,  tu n’es pas responsable, ni de l’infertilité, ni de la maladie. Mais je te le dis, tu es responsable de ton emprisonnement volontaire dans tes principes droits et rigides hérités de l’inconscient catholique et calviniste de tes ancêtres, tu es responsable de ton mythe chimérique du contrôle absolu, tu es responsable de ton incapacité à dépasser tes propres barrières, tu es responsable  de tes choix pour faire face à tes angoisses intérieures aussi désastreux, dérisoires, sordides soient –ils. Tu n’es aucunement fautif ou coupable. Ce n’est pas ta faute.  

     Et je suis responsable de t’avoir choisi, d’avoir contribué et pérennisé notre mode relationnel sans issue.

     

    Qu’il me pardonne ce dévidoir ! Je n’ai pas à souffrir de notre incapacité à communiquer sans entrer dans des schémas stériles, j’évacue, vide et nettoie. Avec toute ma mauvaise foi, mon égocentrisme, mes ressentiments, ma rancune. Quand les mots sont dits, la page se tourne et je commence à voir bien plus loin que cette impasse, miroir aux alouettes que nous n’avons pas voulu /su / pu voir.

     

    Tout est possible, il n’y a ni fatalité, ni destin, hormis la mort. Encore faut- il arriver à sortir de nos inconforts confortables, inconforts de nos schémas inconscients trop souvent malsains et destructeurs, confortables parce que connus et balisés depuis notre enfance. Je suis prête à virer de cap, je l’ai commencé grâce à la maladie.

     Tu as refusé le mariage, le pacs, l’enfant, l’achat d’un bien immobilier, même celui d’une chambre commune,  que pourrais-je écrire de notre histoire sans toi ?

    Tant pis pour ce nous qui n’existe pas.

    Et tant pis si tu finis par me détester.

     

     

     


     

    Dans ce texte également lu en séance, la psychiatre  a noté une grande colère, de cette colère exprimée, expulsée à l'extérieur de soi et non retournée contre soi en autodestruction. Une force de vie bénéfique.


     

     

    Coïncidence ou non, j'ai habité 5 ans avec lui.

     

     




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  •  

    Il ouvrit la bouche la première fois à notre sujet, il y a neuf ans après m’avoir donné une version de Vespertime de Björk trouvée en des chemins de traverse. Ce fut comme un éclair dans le ciel d’été, je n’avais pas compris ; l’ambigüité des sentiments dans l’amitié homme femme, qu’est- ce que c’est ça ? Il fallut plus d’une année épuisante pour qu’il se décidât enfin à prendre une décision, encore que ce fût moi qui l’’y acculai n’en pouvant plus de ses atermoiements. Nous nous connaissons depuis le lycée, nous nous faisions confiance, un lien existait réellement, profond et sincère, alors pourquoi ne pas envisager de construire une vie, ensemble ? Après une durée raisonnable de test, je décidai d’arrêter la pilule en me disant qu’une grossesse surprise serait une joie, son absence, un non- problème ; je voulais laisser la place à la vie.

    Un an passa, sans suite. Je ne m’inquiétai pas, je voulais prendre deux années avant de me poser des questions. Il ne cessait de se moquer de moi en répétant que nous ne faisions pas le nécessaire pour avoir un enfant : pas au bon moment, pas abouti. Il maîtrisait la situation à sa guise. Ma gynécologue évoqua des tests à faire, il était surprenant que sur une année, rien ne vint. Je n’y prêtai attention.

    Deux ans, toujours rien. Là, il y avait visiblement un problème de fertilité. La gynécologue parla de soucis du partenaire, je lui lançai catégoriquement qu’il refusait de se poser des questions. Commença pour moi le cheminement de vérification de mes capacités personnelles bien que je n’en doutais pas. J’avais eu mon fils très vite, sans problème. Il n’entendit pas les échéances de temps qui approchaient ; 35, 40 ans pour une femme, il commence à se faire tard pour enfanter. « Oh, mais nous sommes jeunes, nous avons le temps » Les températures pendant trois mois, six mois, rien à signaler. Echographie, rien à signaler. Certains examens furent très éprouvants, je vivais cette situation seule, sans écoute ni soutien. C’est à peine si je n’étais pas jugée inconsciente de vouloir un enfant. Comment pouvais-je imposer ça à ce pauvre il ? Je me battais envers et contre tout. Finalement, il s’avéra que je n’avais pas de problème.

     Quatre ans avaient passé de la sorte. Sa sœur qui toute sa jeunesse avait clamé qu’elle ne voulait pas d’enfant mit au monde un petit garçon qui fit sa joie et celle de ses parents. Il ne sembla pas réagir

    En mars 2006, je lui tendis une ordonnance pour ses tests. Il la parcourut vaguement et la déposa négligemment sur le meuble d’entrée. Je sus qu’il ne les ferait pas.

    En juin, la maladie était là.

    A chaque fois que je me trouvai face à un médecin, je posai fébrilement la question « Est- ce que je peux encore avoir des enfants ? » je devais d’abord penser à moi m’avait répondu le professeur, c’était bien ce que je faisais. Qui l’a entendu ?

    Quand j’étais très mal, que la mort rôdait, il a été formidable, il ne m’a jamais laissée, promettant que ma vie serait plus belle quand nous aurions dépassé ces épreuves, que mes désirs et rêves se réaliseraient. Je l’ai cru. Quand je repris du poil de la bête et du pouvoir sur ma vie, je le sentis retomber dans ses travers sans issue.

     Dès que je pus remonter les escaliers, je fis du tri dans les cartons ; crève –cœur abominable de ressortir tout ce que je gardais depuis si longtemps pour le deuxième enfant. Je pleurai et pleurai sans cesse. Je tranchai dans la plaie ouverte au fer chaud. J’en donnai quelques uns, j’en vendis, c’était tellement dur. Je n’arrivais pourtant pas à me défaire de quelques objets  espérant un changement, un miracle.

    Lors d’une consultation avec Gilles en septembre 2007, je reposai la question, il resta très mesuré. Je voulais des données concrètes car il avait lu des informations dramatiques sur Internet : virulence de la maladie après l’accouchement, certaines femmes en étaient mortes, Il répétait qu’il ne voulait pas prendre de risque. Gilles me laissa entendre qu’il me faudrait peut-être envisager de ne plus y penser car il y avait des risques de reprise, parce que le traitement de fond était incompatible avec la grossesse.

    Quelle tragédie !

    Je ne pouvais pas y croire, c’était impossible, il était donc trop tard ?

     

    L’adoption ne me posait pas de problème, il  en refusa l’idée. « Si je dois avoir un enfant, je voudrais qu’il soit vraiment de moi ». Nouvelle impasse.

     

    Il n’est pas question de lui ici, il n’est question que de moi. Il a fait des choix, ou des non-choix comme il préfère à le dire. C’est sa vie, c’est son problème. Cependant, je crois que jamais je ne le lui pardonnerai. J’avais fait un long parcours seule en pleine conscience des enjeux, des possibilités et des impossibilités ; j’étais prête à tout affronter. Il n’a pas daigné m’entendre. Lui, il aura toujours la possibilité d’en faire avec une autre, alors que moi, je dois désormais faire le deuil de l’enfant que j’ai porté sur mon cœur et dans ma tête toutes ces années. Je l’enterre chaque jour avant même qu’il ait été conçu. Les affaires gardées précieusement, porteuse d’espoir sont devenues des boulets et me renvoient sans cesse à cette impasse.

    Comme il existe l’enfant mort- né, je vis désormais avec le cadavre de l’enfant mort-conçu,  travail de deuil nécessaire, vital.

    Deuil de l’enfant, deuil de notre relation, deuil de mon corps passé, deuil d’une vie et  ses espérances.

     

     



    J’ai écrit ce texte il y a presque deux ans ; j’attendais pour le publier et au jour de mon anniversaire, je m’exécute. Je ressens en travers de ma gorge cette amertume qui déchira mon cœur et mon âme à cette écriture, je revois exactement la scène alors que je le lisais à la psychiatre, pleurant et luttant pour sortir de vive voix ce que je trainais depuis si longtemps dans la solitude d’un couple inexistant. Une souffrance atroce, abominable.

    Elle souleva la beauté du texte et la grande douleur exprimée. Son attention se porta sur le mot atermoiements où j’avais accroché  ; j’expliquai benoitement qu’il n’était pas de moi, qu’une amie l’avait utilisé au récit de mes relations à lui.  « Qu’est- ce qu’il évoque pour vous ? demanda t- elle posément. » Dans un élan spontané surgit des tréfonds de mon être : « A terre moi maintenant ! ».  L’évidence était là, la profondeur de la blessure insondable.

    S’il ne me pardonne pas d’avoir écrit ces dévidoirs, j’ai vécu avec une plaie immonde, infecte dont la cicatrice balafre ces années passées en sa compagnie Je n’ai vu nulle autre voie que celle de l’écriture où je me suis jetée à corps perdu pour crier à la terre entière mon besoin de partager ce poids insupportable. J’y mobilisais mon instinct de survie pour contre carrer la mort qui ne cessait de rôder autour de moi.

     

    Viendront d’autres écrits à la suite de celui- ci. Ils sont à l’image du travail de fond engendré par la maladie, le frôlement de la mort, le deuil nécessaire d’une vie passée pour renaître à la lumière d’une nouvelle.


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